L’école et le club de vélo, à cinquante-cinq ans d’écart / #rectoverso #05

C’est là que le corps a fait rentrer dans la tête la différence entre l’accent grave et l’accent aigu : tu penches du côté du jardin ̶ pas grand-chose à en dire ̶ ou tu penches du côté de la cour ̶ là où ça crie, là où on frotte les courses d’enfance, jusqu’à tomber parfois, surtout en hiver quand la neige se pointe ou quand ça gèle dans les flaques des pluies restées depuis l’automne… ou encore à perdre l’équilibre à tourner autour des gros acacias qui t’aident à te cacher des autres quelques secondes. Le préau est au fond, lieu d’exil des mangeurs récalcitrants à la nourriture de la cantine., perpendiculaire à la longue façade des trois salles de classe. Possibilité de s’y retrouver une heure entière  ̶ mesurée à l’échelle des six ans ̶ à côté de son assiette, à mesurer l’impossibilité d’y avaler un steack hâché mais à goûter le miracle de voir passer sur la nationale 113 un cheval traînant charrette, spectacle déjà rare il y a cinquante-cinq ans…

Cinquante-cinq ans plus tard, l’école est un club de cyclisme qui profite de l’accès par la nationale 113 devenue sur ce tronçon RN 123. Les acacias ont été rasés à la base, il faut que les véhicules break à porte-vélos puissent tourner. La façade a gardé sa couleur blanche, les carrosseries des véhicules du club font un franc contraste avec leur couleur rouge et leur croix occitane, elles éclipsent l’encadrement de brique des fenêtres mais de dehors, on pourrait croire que les salles de classes sont restées intactes à l’intérieur, sauf que les volets ont l’air tout le temps fermés, en tout cas sur la cour, qu’on devrait peut-être appeler désormais parking… Le préau a été en grande partie occulté, il n’y avait qu’un mur à ajouter pour en faire un atelier. Moi, je suis à vélo en ce 28 décembre et c’est peut-être ce qui m’autorise à venir là, même s’il n’y a personne aujourd’hui. J’entre dans la cour sans acacia et je fais un virage le plus serré que je peux. Je ne tombe pas mais je me rends compte que c’était plus facile en étant guidé par la carrure des acacias.

2 commentaires à propos de “L’école et le club de vélo, à cinquante-cinq ans d’écart / #rectoverso #05”

  1. 55 ans d’écart et le monde n’est plus le même
    deux âges, deux époques, arbres disparus et bâtiments transformés
    mais ce qui est sympa c’est le virage en vélo qui donne à sourire…
    merci Philippe pour ce tour de vélo

  2. Ah Françoise, tu me fais prendre conscience de ce contraste entre le lourd… et le léger… Merci !