15. être de finitude mais pas que.
16. se révolter contre.
17. ne pas accepter qu’on te dise que tu n’es que ça, même si ça, ce n’est pas si mal que ça, comme être jardinier ou facteur ou écrivain ou fonctionnaire ou amant ou beau-père de quelqu’un qui est devenu artiste ou émigrée ou mère de quelqu’un d’autre encore.
18. on a le droit de rêver aussi.
[…]
22. On marche.
23. Quelqu’un voit qu’on marche et pense qu’on n’est que quelqu’un qui marche et qui regarde l’horizon.
24. Même si cet horizon est la plus belle des montagne, non.
25. On n’est pas que quelqu’un qui marche.
[…]
33. Mais la panthère, bah la panthère…
34. Lui donne-t-on le droit de n’attendre qu’une proie ?
35. Au point de la nuit où on avance dans l’obscurité tu ne sais même pas qu’elle est là mais tu as la conscience confuse que pour quelqu’un, tu pourrais être une proie…
36. D’ailleurs, panthère ou léopard ?
37. Le ou la ?
[…]
44. Quand la terre te colle aux mains, tu es qui ?
45. OK, tu évites « cul-terreux »…
46. D’ailleurs, cette terre qui colle aux mains, c’est doux…
46. Mais avec les mains pleines de terre, aucun enfant n’a jamais été invité à partager un goûter, à feuilleter le moindre livre, encore moins à s’asseoir dans l’herbe le plus confortablement possible, à ouvrir un cahier neuf, à choisir soigneusement sa couleur d’écriture et à tracer les premiers traits qui viennent, qu’ils forment des mots ou un simple dessin…
47… auquel l’ombre de terre pourtant pourrait offrir un accordé nuage.
[…]
55. et alors, quand tu es le pelharòt !
56. rien à attendre du côté des enfants, tu leur fais trop peur. Mais d’où elle vient, cette peur ? D’où, oui, d’où ?
57. rien à attendre du côté des adultes, tu leur fais trop dérangeant pour leur monde.
58. pour les uns, tu es le ramasseur des commetteurs de fautes et les unes espérent que commetteurs n’a jamais de féminin et les plus fous des autres pourraient s’enorgueillir de leur genre mais à l’approche du pelharòt, on n’en connaît pas de ceux-là.
59. Tu peux ne pas blairer les peaux de lapins que te refilent les autres.
60. Tu pourrais bien avoir envie de t’arrêter sur le trottoir et de dessiner des fauves à la craie. Bah, des fauves.
[…]
76. Les impasses portent de plus ou moins jolis noms selon les langues, certains sont doux.
77. En occitan, quand tu lis l‘androna, ça paraît te donner une perspective large sur la condition humaine.
78. Mais pour les autres, t’es dans l’impasse.
79. Alors que ça peut se terminer par une voie ferrée où passent des trains qui vont parfois loin.
80. Alors que ça peut être l’un des plus beaux belvédères sur les nuages de l’Atlantique. D’où l’on voit la course des nuages qui viennent de là-bas…
81. L’Atlantique, ça m’a toujours fait rêver mais je crois que je ne l’ai jamais écrit encore.
82. Alors, pour le moment encore, je ne suis qu’un type dans l’impasse.
90. Là, on touche au point où il faudrait l’aide de Boké.
91. Au moins pouvoir se dire que Boké n’est pas qu’un mort mais quelqu’un qui parle encore de bizarre, d’étageries, de maïs à aller griller et d’yeux verts à allumer en allant torcher ensemble du côté du marigot.
92. Qui va pouvoir croire que je suis aussi un jeune homme noir de vingt-ans de moins que moi ?
93. Il y en a qui sont assignés à résidence et d’autre à mélanisation insuffisante.
94. C’était aussi l’histoire de Rachel Dolezal.
95. Un jour un cinéaste t’as demandé de te filmer dans un jardin, de raconter ton histoire en tant qu’homme noir et que cela allait se marier avec l’histoire de Rachel Dolezal et tu as fait l’envoi mais il n’y a plus jamais eu de message…
96. Sans doute qu’on t’a pris pour quelqu’un qui poste seulement des vidéos.
[…]
109. Tu es attaché à écrire boite aux lettres et non boite à lettres.
110. Tu peux être pris pour quelqu’un qui a un goût vieillot.
111. Tu es quelqu’un qui aime bien envoyer encore des lettres.
112. Tu peux être pris pour quelqu’un qui ne sait pas envoyer des messages électroniques.
113. Tu as été facteur de novembre 1990 à novembre 1992.
114. Une fois, une dame bien habillée à qui tu apportais son courrier de vacances t’a mis la main sur le bras et t’a dit que tu faisais un dur métier mais que c’était bien quand même d’avoir ce métier-là quand on n’avait pas pu faire autre chose.
[…]
130. Quand on s’éveille le matin, encore habillé de ses rêves, on peut être quelqu’un de tout à fait différent.
131. Un jour, tu t’es réveillé à la vie et autour de toi il y avait une autre langue et alors tu as su qu’on pouvait se réveiller en entendant « c’est l’heure de se lever » mais pas que.
132. Boké est témoin, son témoignage est comme un dû. Et pas que ça !
[…]
141. On aurait vu ce bizarre bout d’homme blanc monté sur un cheval mais il aurait fallu dire que c’était une jumeau éreintée de labour et que cela ne fait pas le cavalier.
142. Tu te souviens trop de ce cours de gym où la hantise de la culbute après tremplin t’avait fait percuter le cheval d’arçon.
143. On peut utiliser des tremplins dans être voltigeur de haut vol.
[…]
152. Binta a eu envie de venir en Europe. Mais quand elle écrit, elle n’est pas que celle qui a envie de venir en Europe.
153. Il fallait une instance nécessaire à ce que Binta ne soit pas que.
154. Boke et Binta sont dans l’autre monde.
155. Mais pas que. Tu en sais quelque chose.
[…]
163. Dans les tranchées il se sont tous mêlés.
164. Aujourd’hui, on les mélange allègrement dans le culte du bon poilu inconnu.
165. Il y en a eu qui ont eu peur, qui ont cédé, qui ont volé, qui ont joui de la mort ennemie, qui ont violé, qui ont effrayé mais pas que…
166. Il y en a qui ont aidé, qui ont consolé, qui se sont privés pour un autre, qui ont épargné, qui ont caché, qui ont pardonné mais pas que…
167. Il eut des Jules et aussi des Boke, des Abder…
[…]
168. Il y eut des prix Nobel de littérature mais pas que.
169. Qui est prêt à compléter la liste…
170. Mais pas que ?
830. Babudu, un matin se réveiller Babudu. Mais pas que.
831. Un matin, entendre la langue-gorge autour de soi, en même temps que les pilons dans les mortiers de tout le village et les écrits d’encouragement aux bêtes attelées et de réprimande parfois à ceux qui les mènent mal.
832. Se réveiller résolument Babudu. Mais pas que.
[…]
853. Babudu sait que la panthère n’est pas franche avec l’homme, on le lui a dit dans la langue-gorge. La panthère qui sait rugir aussi bien que le lion n’est pas franche avec l’homme. Et la vie, franche, la vie ?
[…]
864. Pour Babudu, le contact avec la terre vient surtout des pieds. On enlève respectueusement ses chaussures pour aller cultiver.
865. Respectueusement pour qui ? Ne se demandera jamais Babudu.
866. Mais il craint le petit trou de terre d’où sortirait le tétéfé pour piquer son pied.
[…]
875. Babudu aurait dû avoir peur de l’homme blanc qui vient manger les enfants qui ont fait des bêtises.
876. Mais Babudu est né trop grand et Babudu est né trop blanc. Et si encore ce n’était que ça !
[…]
886. Babudu a appris qu’il ne fallait pas montrer du doigt les étoiles mais on ne lui a jamais dit ce qu’il ne fallait pas faire avec les fauves, à part se méfier de la panthère et croire en ses chances quand on rencontre le lion de face.
[…]
897. Au village de Babudu, il n’y a pas vraiment d’impasse mais on pourrait dire aussi que chaque concession est une petite impasse, une cour ouverte sur une rue où les cases de toute une famille font cercle. Mais pas que.
898. A bout de quelques semaines, Babudu avait appris à connaître tous les noms des familles.
899. C’est tellement bien de saluer les gens par le nom qu’ils aiment qu’on leur donne !
[…]
980. Babudu n’a pas moyen de partager la différence qu’il y a entre une mer et un océan, d’ailleurs il n’est pas très sûr de savoir, ce qu’il apprend c’est à reconnaître les marigots entre eux et à savoir comment s’approcher du grand fleuve. Et pas que.
[…]
990. Qui va pouvoir croire que Babudu est aussi un homme blanc de vingt-deux ans de plus ?
991. Il a failli devenir riche, Babudu, quand le vieux marabout aveugle a compris qu’il pouvait être aussi bien blanc que noir, écrire pour lui des lettres dans toutes les langues et les porter où il fallait !
993. Babudu a longtemps eu un témoin des particularités de sa vie, son jumeau adoptif, Boké, mais maintenant il lui faut faire sans. Mais pas que sans.
994. Heureusement que Babudu était là pour avoir confiance le jour d’être hissé sur le cheval, malgré les souvenirs terribles des cours de gym et du cheval d’arçon.
995. Binta aussi a disparu sans que Babudu puisse savoir si c’est bien lui qu’elle voulait rejoindre. Peut-être qu’elle voulait venir en Europe. Mais pas que.
996. Et puis le souvenir de la grande guerre a bien fait travailler Babudu.
997. Babudu quête la suture du noir et du blanc. Mais pas que
998. Babudu cherche les relations possibles entre les hommes et les femmes, mais pas que. Faut dire qu’il est né d’une enfance rapide ! Mais pas que.
999. Babudu aurait pu être couturier.
1000. Babudu est l’instance. Mais pas que ?
« Quelqu’un voit qu’on marche et pense qu’on n’est que quelqu’un qui marche et qui regarde l’horizon.
Même si cet horizon est la plus belle des montagne, non.
On n’est pas que quelqu’un qui marche. »
( on peut aussi être à cheval mais pas que )
J’aime beaucoup la répétition des : Mais pas que ( et sans) et Qu’il n’y a pas qu’une seule histoire ni un seul visage ( le me souviens du t Shirt blanc et du collier et des habits rouges de Binta ) l’histoire de Badudu. Et Binta . Le noir. Le blanc. Mais pas que et comment la fin du texte ressaisit les motifs du début . Suture. Couture. Merci
Oh, quelle chance d’avoir une lectrice aussi attentive et aussi encourageante… merci, Nathalie !
tes mains sont pleines de terre (les miennes pleines de sable)
je suis frappée par une certaine correspondance de nos textes, par exemple ce choix d’insérer des […] pour descendre au long du temps, chacun poursuivant ses propres images et obsessions, ses propres images…
et on peut te relire à l’infini, reprendre au commencement, ça pourrait ne jamais s’arrêter et on voudrait en savoir beaucoup plus sur Boké, Binta ou Badudu (rien que des B majuscules ?)
tu sembles avoir repris chacun des textes pour les exploser en petites séquences entre 1 et 1000… n’importe, je m’en vais relire encore une fois…
sacrée séquence assez géniale et qui se lit parfaitement bien (j’ose ajouter « contrairement à la #14 » !! ahah)
Eh oui, il y a des échos entre nos deux textes, et pas seulement de forme !…
En tout cas, je suis heureux que tu aies repris plaisir à me lire et je souris à ton « ahah » espiègle… Je crois que ma #14 était une sorte d’échafaudage qui n’apparaîtra pas comme telle dans une texte à publier… mais me servira sans doute à en écrire, voire réécrire des bouts…
Je ferai la même remarque qu’à Françoise : à ce stade de l’écriture comment savoir le nombre de fragments exacts entre le 980 et le 990 ? Pourquoi 9 et pas 11 ? En tout cas c’est vertigineux. Merci de nous l’offrir.
Bonne question Cécile, j’aurais dû insérer un codicille…
En fait j’ai tenté une correspondance entre les chiffres des centaines et dizaines et la numérotation de mes textes de cet atelier d’été où j’allais puiser une matière à percuter, comme dirait François et qui faisait à chaque fois plus ou moins de rebonds… J’ai choisi d’accepter cela et, sans compléter autrement, de repartir de la dizaine ou centaine suivante en allant chercher de la matière dans le texte suivant…
Oulah, ça doit paraître plus alambiqué qu’un codicille en règle, non ?
Admiratif. Merci Philippe.
Ah, voilà un bel encouragement… pour le post-atelier d’été ! Merci…
Merci Philippe pour la puissance de ce texte qui nous prend et nous emmène à travers ses images, ses personnages, ces mais pas que…
Ce retour que tu me fais là, Clarence, m’encourage à ce que cet atelier d’été soit un mais pas que…