Le roman que je n’écrirai jamais ? La question, je le crains, ne me concerne pas. Je n’écris pas de roman. Et je n’ai pas l’intention d’en écrire pour la raison que ça n’est pas ce qui me requiert dans ma pratique d’écriture. Au commencement du commencement, je voulais simplement écrire un poème. C’était il y a longtemps, autour de mes douze treize ans je crois. Et depuis, j’écris. J’écris en faisant mienne – pour partie – cette déclaration de Paul Valéry : « Ce que j’écris n’est pas écrire mais me préparer à écrire », dont je ne retiens que la première proposition : « Ce que j’écris n’est pas écrire ».
J’écris. Mais ce que j’écris n’est pas – encore – écrire. L’idée de préparation induit un après. Quelque chose devrait venir. Or cela, chez moi, ne vient pas. Je ne l’appelle pas de mes vœux. Ecrivant, je ne m’assigne d’autre but que d’écrire. Seul l’acte compte en lui-même. Je ne me préoccupe pas du devenir de mes écrits. Comment ils seraient supposés se transformer. Sous quelle forme différente, plus évoluée, ils pourraient renaître. Ecrire no future, en quelque sorte !
Mais j’écris. Des fragments. En vers ou en prose, indifféremment. Sans doute y a-t-il une raison à ce que tel texte soit plutôt écrit en prose, tel autre en vers, mais sincèrement, au moment où j’écris, je n’y attache pas d’importance. J’écris.
Je n’écris pas non plus dans la perspective du livre. Faire un livre ? Ça n’est pas ce qui me tient devant la page blanche de mon cahier ou le clavier de mon ordinateur. Quand j’écris, je me concentre sur le présent de l’écriture. Ce qui se passe, dans le laps de temps de l’écriture, entre mon cerveau et ma main. Ce qui advient à la pointe de mon Bic. Ce qui me traverse et que je vois peu à peu apparaître, monter, prendre forme, les nuances de gris comme lorsque je procédais au tirage papier de mes photographies dans le laboratoire argentique du lycée. Quand j’écris, je passe ma langue au révélateur de l’instant. Je ne pense pas au livre.
Je parle du livre en tant qu’il serait réfléchi, conçu, planifié en amont de l’écriture. Cette façon de travailler existe. Elle est même très répandue. J’en suis d’autant plus admiratif que, je parle d’expérience, je suis incapable de m’y astreindre.
Pour autant, je ne peux pas dire que je ne ferai pas de livre. Ce serait mentir. La vérité est que je ne m’interdis pas de bricoler un bouquin et ça n’est en rien péjoratif sous ma plume. Le bricolage est un art. Un livre exige d’être construit. En amont, pendant ou après l’écriture, il se façonne. Se fabrique. Il faut le vouloir. Il n’est donc pas exclu que je m’attache, un jour, à l’assemblage d’un certain nombre de mes « déjà écrits », que je les ajuste, les polisse, les rabote afin que, tels les éléments d’un puzzle, ils s’imbriquent les uns dans les autres pour former un objet harmonieux. Ce serait une sorte de livre à rebours pour offrir aux amis. J’insiste : offrir. Pas d’histoire de sous, ici. Un acte gratuit. Aimant. C’est ainsi que je vois les choses.
Il reste que je n’écris pas pour laisser mes textes dormir au fond d’un tiroir. Je les veux vivants, se confrontant au monde, se heurtant aux roches dures de l’existence. A l’air du temps. Et pour cela, le blog – je dis bien blog et non site, moyen de diffusion autrement sophistiqué – m’est apparu comme l’outil le plus adapté à ma pratique. Parce que le blog, en son principe même, est le lieu par excellence d’un présent de l’écriture.
Je n’ignore pas qu’il est possible de constituer au sein d’un blog un réseau d’archives autorisant une accessibilité, donc une certaine permanence, aux écrits qui y sont hébergés. Mais il n’empêche que ce qui saute en premier aux yeux d’un lecteur de blog, c’est ce qu’on appelle non sans raison la mise à jour. C’est ainsi que j’ai souhaité que le mien fonctionne, en privilégiant ce qui vient d’être posté au détriment de ce qui l’a été la veille ou les jours précédents.
Il y a, dans cette façon de procéder, la volonté de prendre en compte la question, cruciale à mes yeux parce que constitutive de mon rapport à l’écriture : la question de l’effacement. J’étais attiré, enfant, par le grand tableau noir accroché au mur dans la salle de classe de mon père. Le soir, pendant qu’il remplissait de mazout les réservoirs des poêles de l’école, j’y gribouillais quelques dessins à la craie, j’y traçais mes premières lettres. Puis il fallait tout effacer afin de rendre le tableau à sa virginité scolaire. Mes mots d’enfant tenaient de l’éphémère.
Je l’ai dit : j’écris au présent. Ici et maintenant. La durée inhérente au processus de fabrication du livre, son inscription dans le temps, me fascine et m’effraie à la fois. Je lui préfère l’aujourd’hui. Demain, je ne sais pas. De sorte qu’au terme de ces quelques réflexions bien nébuleuses, je pourrais réduire ma conception de l’écriture à sa plus simple expression : Ecrire. Point.
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Codicille : ce texte a été écrit au lendemain de la séance du 24 juin qui clôturait le cycle de nos mardis. Elle prenait appui sur la réponse de Blaise Cendrars à une enquête sur « les romans que je n’écrirai jamais ». Au moment de la restitution de nos temps d’écriture, à l’écoute des textes d’autres membres de l’atelier, je me suis rendu compte que j’étais passé totalement à côté de ce que je voulais dire. La question pour moi n’était pas de dresser la liste des romans ou livres que je n’écrirais jamais pour la raison que je n’écris pas pour faire des livres. C’est ce rapport à l’écriture, sans autre objet que l’écriture même, que j’aurais dû chercher à approfondir. Aller voir ce qui se cachait derrière. Je l’ai tenté le jour d’après. Je ne sais si j’y suis parvenu. Mais l’exercice m’aura au moins permis de poser quelques jalons. Avec l’assurance que je n’en aurai heureusement jamais fini avec le verbe écrire.
ce texte touche à l’intime de l ‘écriture et cette sincérité me touche. le texte de mardi était aussi très intéressant . Mais il fallait visiblement que les choses soit dites! et pour aujourd’hui, c ‘est vraiment réussi, et mon image préférée c ‘est: »J’étais attiré, enfant, par le grand tableau noir accroché au mur dans la salle de classe de mon père. Le soir, pendant qu’il remplissait de mazout les réservoirs des poêles de l’école, j’y gribouillais quelques dessins à la craie, j’y traçais mes premières lettres. Puis il fallait tout effacer afin de rendre le tableau à sa virginité scolaire. Mes mots d’enfant tenaient de l’éphémère. »L ‘effacement de l ‘écriture, c ‘est ça renaissance même.
il ne faut pas arrêter d ‘écrire jusqu’à que la trace apparaisse pour de bon. …
Vous avez vu juste, Carole. « Il fallait que les choses soient dites ». Grand merci pour votre lecture si accueillante.