RECTO
Rue V.
Je pensais que c’était une impasse. C’est une rue (j’ai vérifié sur Google Maps). Elle est fermée à un bout par 4 piquets de bois plantés à égales distances. On peut les franchir aisément quand on est à pied. Passé les piquets, on aboutit à un carrefour. Un magasin de décoration à droite, un centre de contrôle technique à gauche. Ils donnent tous deux sur la route menant à la zone commerciale.
Il y a quatre maisons dans cette rue avant d’arriver aux piquets.
Le bitume a fait son temps. Les services de la voirie ont balancé des gravillons. Il reste des creux et des bosses caillouteuses.
Des arbres sauvages, très peu taillés, des buissons, des arbustes se développent des deux côtés de la rue. Les branches se mêlent à celles des jardins.
Avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny
L’autopont vient d’être démoli. Le rond-point donnant vers l’église d’un côté, la zone commerciale de l’autre est encore en chantier. La pharmacie a changé de place. Les voitures roulent sur une seule voie. La circulation est dense aux heures de pointe. Ça pue. Les bandes blanches sont neuves. Les gars des chantiers ont chaud mais doivent porter un casque et un gilet orange.
Rue de la gare
C’est une rue qui donne sur une place. La place se nomme aussi rue de la gare. Les TER qui relient la mer à la ville s’arrêtent toujours ici mais la gare n’a plus fonction de gare. C’est une librairie. Pour acheter un billet de train, il faut aller sur le quai (les quais sont accessibles) et utiliser le distributeur de billets.
Sur cette place qui s’appelle rue de la gare, se situe le terminus d’une ligne de tram. Pour monter dans son train il faut donc traverser les rails des trams et, en fonction du trajet, traverser les rails du train. C’est un espace proprement aménagé. Il ya un café, une pharmacie, une résidence sénior, un opticien, une boulangerie et de grands bacs de verdures laissés volontairement en friche. Les gens vont et viennent et l’on ne sait s’ils vont prendre un train, un livre ou une baguette de pain.
VERSO
Deux femmes en tenue estivale ramassent des prunes. Il est question de confitures. Le prunier dégorgent de petites prunes bleu marine, pas beaucoup plus grosses qu’une olive. En regardant le haut des branches, celle qui est en short dit : « Il donne ». Les deux femmes ont apporté un escabeau, un panier d’osier et une caisse en plastique. Lorsque j’arrive, les contenants sont déjà pleins. Les deux femmes transpirent. Le prunier s’allège mais il reste encore des kilos et des kilos à ramasser et à cueillir. L’une des deux femmes me propose une prune. « Tu veux gouter ? » Dans cette impasse qui n’en est pas une, je croque une prune pâteuse, peu sucrée, décevante. Je leur dis une banalité au sujet des confitures, du dénoyautage très très long, et du prunier bien généreux. On parle un peu du temps et on se dit au revoir, bonne journée. Chacune repart de son côté.
J’aime vraiment beaucoup. Le rythme du coeur, la pulsation si difficile à trouver d’un prélude de Bach, exactement le temps de la marche pour voir et regarder, ce temps qui permet la bifurcation, et soudain, me vient cette image de rues, Savenay peut-être, ou Malville, très loin dans la vie, ce beau feu de l’adolescence, quand on marche dans la commune qui n’a que visage de rues esseulées,
et l’image de ces prunes décevantes, cette aigreur philosophique m’enchante et achève de me conquérir
Merci infiniment Françoise pour ce commentaire, pure poésie que j’accueille avec émotion.