#rectoverso #PS | Laura Vasquez, j’avais cru… et pourtant

Codicille : A partir de la proposition #7# Quand on tombe amoureux on se relève attaché

C’était un matin qui ne savait pas choisir, calme ou trop lumineux, je ne sais plus, la lumière passait à travers les rideaux comme une main tiède et lente, le jour s’est glissé sous mes paupières comme un animal discret, j’étais déjà debout avant d’ouvrir les yeux, déjà pleine de lui, cette image, cette silhouette pliée dans son champ, dans sa combinaison d’apiculteur, tenue d’un autre siècle, tenue de cérémonie presque, même les abeilles semblaient le frôler avec un respect minuscule, comme si elles savaient tout, absolument tout, même ce qui ne se dit pas, je ne l’ai jamais approché, pas même frôlé, pas même une phrase, mais mon corps, lui, s’était déjà incliné vers lui, sans rien dire, sans m’avertir, je ne sais pas quel mécanisme a bougé là-dedans, quel muscle s’est retourné, quel bouton a été pressé, ce n’est pas de l’amour, pas du tout, ou alors c’est une autre version de l’amour, une version étalée, liquide, qui coule doucement dans la mémoire, ça a commencé sans bruit, pendant que quelque part le monde brûlait, et moi je tombais, sans chute apparente, pour une ruche, pour une nuque, pour un geste qui ressemblait à un salut, j’ai déplacé mes promenades, déplacé mes habitudes comme on déplace des pions sur une table de cuisine, pour croiser son ombre, pour croiser peut-être une abeille perdue de son royaume, c’était absurde, oui, absurde, mais doux comme une pommade oubliée, un soir j’ai cherché la durée de vie d’une abeille ouvrière, j’ai lu qu’elle vivait à peine plus longtemps qu’un bouquet posé dans l’eau, et cette information idiote m’a fendu quelque part, comme un poème.

J’avais cru

J’avais cru que c’était possible

J’avais cru que tu pourrais confondre tes démons 

J’avais cru que tu pourrais te tenir, même un instant 

que tu pourrais te tenir droit

que tu pourrais te tenir dans tes promesses

que tu pourrais te tenir dans tes vérités

J’avais cru que tu pourrais te respecter

que tu pourrais te respecter pour respecter l’autre 

que tu pourrais respecter ce que tu disais respecter 

que tu pourrais regarder ce que tu ne pouvais pas respecter 

J’avais cru que ton inconstance avait des limites, des contours, des heures fixes, des habitudes, des règles 

J’’avais cru que tu pouvais croire en toi 

que tu pouvais croire en toi assez longtemps pour croire à quelque chose 

que tu pouvais croire en toi pour savoir ce que croire veut dire 

J’avais cru que tu pourrais t’aimer 

que tu pourrais t’aimer pour savoir ce qu’aimer veut dire 

que tu pourrais t’aimer assez pour comprendre que tu ne t’aimes pas 

que tu pourrais t’aimer pour savoir quand tu te mens  

J’avais cru en cette lumière de fond que tu étouffes  

J’avais cru que tu voudrais gagner, que tu voudrais rester, que tu voudrais t’enraciner 

J’avais cru que tu pourrais planter tes racines dans quelque chose qui tient, dans quelque chose oui, dans quelque chose qui ne se plie pas 

Et pourtant j’avais cru 

j’avais cru

j’avais cru, j’avais cru… 

Quelque chose s’est déplacé, imperceptiblement d’abord, comme une ombre qui s’allonge avant la pluie. J’ai relu mes promenades avec d’autres yeux, comme si elles avaient toujours été un peu mensongères, comme si le tracé de mes pas savait déjà ce que je refusais de dire. L’air autour de lui n’avait pas changé, non, le champ était toujours là, la combinaison, les abeilles, le geste. Mais la lumière avait une ride. Une fatigue que je n’avais pas vue. Une déception qui ne venait pas de lui peut-être, mais qui passait par lui comme l’eau par une passoire. Ce que j’avais cru possible s’était tenu un instant comme une aile qui s’était repliée. J’ai continué à marcher, pourtant. À frôler les mêmes herbes, à regarder les mêmes ruches, mais il y avait un fond qui s’était déplacé, une surface plus dure par-dessus la  tendresse. Je ne sais pas si c’est lui qui s’est effacé ou moi qui ai cessé de l’inventer. Peut-être que croire, c’est toujours fabriquer une durée là où il n’y en a pas. Peut-être que j’avais  planté mes racines dans quelque chose qui pliait. Et maintenant ça pliait encore.

Et pourtant,

Tu pourrais te lever dans ce vide que tu as creusé et décider d’y rester un peu plus qu’une minute.
Tu pourrais t’aimer autrement que dans la fuite.
Tu pourrais aimer sans te dissoudre, aimer sans attendre de disparaître 
Tu pourrais respecter ce que tu dis vouloir respecter, et regarder enfin ce que tu n’as jamais osé affronter.
Tu pourrais croire en toi, pas beaucoup, pas tout le temps, juste assez pour que cela tienne

                                                                                                            Un jour de plus

Tu pourrais t’enraciner, même dans un sol pauvre, même dans une terre qui tremble, pourvu que ce soit la tienne.

Tu pourrais choisir de gagner sur ce confort du rien
Tu pourrais rester.

il y a la lumière, elle ne demande rien d’autre qu’une place.
Il y a la ligne droite, qui attend que tu la suives sans la détourner

Tu pourrais.
Tu pourrais encore…                                    Même maintenant.

Alors j’ai pensé que peut-être, ce n’était pas perdu. Pas tout à fait. Que les ruines pouvaient encore tenir lieu de sol, même branlant, même plein de trous. Que la lumière pouvait revenir par les fissures, pas celle que j’avais attendue, une autre, plus maigre, mais vivante. Ce n’est plus l’attente qui parle, ni la promesse ; juste ce qui reste après avoir tout retenu si tu restes, même un peu il y aura de quoi pousser. Pas grand-chose. Une herbe. Une abeille. Ce battement qui retient encore la chute des mondes.