
LE PLEIN DU VIDE
Arudy est en fête.
Un sculpteur sur la friche près de Pelecq taille dans la pierre bleue. Ce qu’il taille on ne sait pas. Personne ne le lui demande. Un pacte de silence. On laisse venir. Il creuse, dessine, palpe, caresse, tape, rudoie. Il s’interrompt, fronce les sourcils l’œil songeur. Il s’y replonge.
Les foodtruck stationnent là. Le public est en joie. On boit sa bière, on s’installe autour de tables ou sur l’herbe. Ça sent bon le pain d’ici, les croquettes de légumes, les burgers curry, le fromage frais. Ils ont faim, faim de légèreté, de rencontres. Silhouettes réunies au cœur de l’été. L’entrain léger de casquettes, chapeaux, robes ou pantalons amples pour laisser passer l’air.
Des couleurs plein la friche, la fanfare souffle. Plis endiablés d’un accordéon dans le rouge soleil, joues vibrantes et doigtés palpitants de cuivres, embouchure déployée du soubassophone derrière le batteur.
Les freins de cyclistes grincent. On s’arrête là, on parle fort.
On ne regarde pas le pont de levage, sa plate-forme vide là en plein milieu de la friche. Vestige, d’un âge d’or industrieux, rouillée, oubliée. Présence inutile, au-dessus d’un rail recouvert d’herbes folles. Un crochet flotte immobile. Autrefois il levait, portait déposait la pierre et le bois. De lui dépendait toute l’activité du bourg.
Derrière l’acier une perspective sur la montagne grouillante, offerte à tous.
LUI l’a vue grimper là-haut. ELLE ou l’ombre d’ELLE. LUI, est interdit.
LUI ou l’ombre de LUI, il ne sait plus.
Tout le vide est là.
J’y vais. J’y vais. Je vais où.
Viendra le plein du vide ?
Là. Là en bas.
J’y vais, j’y plonge. Ou bien ?
Le tout du vide est là sous mes pieds,
Le vide vaut mieux que. Que le tout sans plein.
Le vide n’a l’air de rien. Grandement, totalement, pleinement, tant pleinement vide.
Le grand vide viendra. Mieux vaut tout, que le tout sans plein,
sans contours
Il n’existe le vide. Je n’existe. Mon corps n’existe.
Pas de trait pour dire qu’il existe le vide, qu’il est là.
Mon corps je sais, je sais l’oublier, faire qu’il n’existe. Mon corps oublie.
On m’oublie.
Je veux oublier mon vide. Ce cri dedans qui reste dedans. Ce dedans plein du silence
du cri.
Parfois
d’un son, revient le peu du plein. Un râle surgit, un vague reflux de vie.
Une éclipse de son, l’ombre d’un cri,
un silence, perdu dans son chuchotement, dans son tremblement d’échos.
Si lointain tout au fond de mon ventre grotte.
Mais, le grand vide revient vite. Et mieux vaut tout, que le tout sans plein,
Pique, mon ventre. Pique fort, mon ventre sous lui. Ses tremblements sur les miens.
Et ça dure.
Mon cri du dedans ne peut crier.
Les hoquets de ses râles.
Mon cri silencieux, ne dit mot.
Le temps des larmes et son odeur.
Mon ventre doit oublier.
Vient le plongeon donc. Dans le vide. Car mieux vaut tout, que le tout sans plein,
Sentir pleinement le vide, plonger dans le vrai vide du vide, celui qui existe vraiment, deviendra trait, ligne, courbe peut-être.
Un instant de trait. Ephémère, mais ça tracera, marquera.
Vais-je crier. Crier, qu’est-ce que ça dit ?
Ça ira vite. (Combien de temps ?)
Ça se verra à peine, mais on le retiendra ce trait – là, cette ombre de mouvement, trop rapide, d’un haut vers un bas.
Je n’aurai pas le temps de crier (ou bien ?).
Eux en bas crieront-ils ? Entendront-ils, même s’ils ne voient pas ?
Il vient le plein du vide. Le tout du vide est là sous mes pieds.
Si pas mon cri, mon corps,
au sol.
Quel son ça fait, un corps qui tombe,
un vrai vide ?
Un vide plein.
ELLE, est là-haut.
LUI, la voit.
Le sculpteur la frôle du doigt.
La fanfare joue.
Le public applaudit.
Au milieu des cartons de déménagement.
Le vide je fais,
Le plein des plis du vide je garde