#rectoverso #06 | Racines

Je suis en train de faire du jardinage, et dans mon élan vindicatif envers une adventice, je me laisse entraîner par des racines aussi épaisses que mes chevilles. Finalement il doit s’agir de racines de chêne, propose ma coéquipière, et voilà, nous sommes en train de déraciner un bébé chêne. Cette minuscule pousse verte plantée au milieu du terrain de basket, c’était un petit arbre ! Il faut que ça ait l’air propre et que les enfants ne se prennent pas les pieds dedans, mais à ce rythme, ce ne sera plus un terrain de sport, mais une excavation, un trou dédié à l’observation biologique, j’imagine bien les ados de la colonie penchés devant cette cavité remplie de racines, d’insectes, de terre, de feuilles pourries, d’asticots et de mousse. Oh regardez, diraient leurs moniteurs, les lombrics se traîner sur leur ventre rose, et les ados grimaceraient de dégoût, ou bien raconteraint que leur cousin ou leur oncle a créé une start-up de lombrics, pour permettre aux gens d’avoir des vivariums de lombrics dans leur cuisine, bestioles nues qui passeraient leur vie à manger les emballages en plastique. Ca dépend de l’ambiance du groupe, dans mon stage de biologie en quatrième, effectué en Savoie, on s’est baladés entre des sapins, on a écouté un peu, et puis les filles qui me harcelaient se sont prises d’affection pour moi, apparemment j’ai toutes mes chances avec les mecs, mais seulement grâce à mes yeux, bah c’est pas très grave puisqu’aucun d’entre eux ne m’intéresse, mais ça m’a fait rire, l’année s’était bien terminée ensuite, et là je me dis que ça leur ferait du bien, à ces ados qui passent près de nous pour dresser les voiles de leurs catamarans, de regarder ce qu’il se passe sous la terre, c’est dingue, ces racines, elles vont nous mener jusqu’au tombeau de Merlin, ou quoi ? C’est fou, quand on y pense, les vikings ont assailli les côtes si facilement, et ils sont remontés jusqu’au Centre-Bretagne, où ils ont finalement été arrêtés, pourquoi leur brutalité fascine-t-elle, Iris les adore, pendant sa convalescence, après son accident à la danse, elle lit des histoires remplies de vikings, avec des mariages arrangés, je lui ai demandé si elle voudrait apprendre la voile, j’essaie de la consoler, de lui trouver un autre sport, et elle m’a répondu que ça demandait trop de manipulations, les bateaux c’est trop technique, et puis tu me vois, le torse pris dans une bouée orange, à lutter pour faire bouger deux flotteurs et une voile, alors qu’on m’avait promis la couronne et le tutu de la Reine des Cygnes ? Je renonce à la distraire de son chagrin, elle a raison, on ne se console pas d’un rêve perdu en essayant d’adopter celui de quelqu’un d’autre, et je la laisse à ses drakkars. Je m’empare d’un sécateur, et coupe à la racine des mes racines, tant pis pour le reste, il y aura toujours un mini-chêne qui aura envie de pousser à cet endroit, mais ce n’est pas de ma faute. Je ne vais quand même pas creuser une galerie jusqu’au château de Combourg.