RECTO
La rue tourne sur elle-même et les maisons se ressemblent toutes dans le lotissement. Des pavillons au crépi blanc, sur un étage avec une allée en carrelage pour prétendre que la méditerranée est encore là. Malgré le ciel picard. Devant chaque maison, des voitures sont garées dont la carcasse trahit les origines modestes de ces propriétaires qui semblent ne toujours pas en revenir de l’être au vu du côté maison témoin du quartier. Au milieu de la rue il y a un petit terrain qui sert de parking pour les invités potentiels. Pour l’instant, juste un chat y observe le quartier. Un chat et un vieux platane. Les toits des maisons, je ne pourrais pas dire leur couleur. On n’ose pas vraiment regarder le ciel ici.
La piscine se dresse dans son style art nouveau au milieu des boutiques de kebab et des PMU, terrasses grouillantes de petits vieillards à moustache et aux gitanes qui partagent les mêmes obsessions politiques mais que l’accent distingue. Elle est imposante, avec ses colonnes en béton rose modelant des sirènes lascives. Quoi qu’il faut se concentrer pour les voir. Elle a quelques marches en marbre qui valent plus sûrement que tout le quartier et l’odeur du chlore vient se mêler au mouton doré. Les grandes portes vitrées portent les traces des doigts des gosses du quartier. Deux filles en maillot de bain avec leur paréo noués sur le bas des hanches discutent en fumant une cigarette. Elles ont les cheveux mouillés et des formes fermes que font semblant de ne pas remarquer les hommes aux terrasses. L’une a un tatouage de baleine dans le dos. Elles dénotent dans cette rue populaire. Ou peut-être pas. Peut-être sont-elles l’incarnation de ces sirènes lascives, entre la graisse de mouton et les gitanes en cendres.
Sur le auvent de son bar il a mis quelques guirlandes lumineuses pour lui donner un côté champêtre. Ce sont juste quelques tables et chaises disséminés sur la place, avec des ballons où l’on sert du vin de cubi. Prises entre une piste d’athlétisme où court un chien joyeux après un ballon défoncé, un terrain de basket investi par quelques ados en errance et les poubelles du tri sélectif qu’on a essayé de pousser maladroitement sur le bord du trottoir derrière les trottinettes pour ne pas trop gêner les clients. Mais les clients n’ont pas l’air gêné. Le chien cherche à attraper le ballon de basket et quand celui-ci tape contre la porte du grand garage où trône un graffiti représentant un goéland ivre ça lance un bruit avec un tel écho qu’on ne s’entend plus parler. Pourtant ça non plus ça ne dérange pas les clients. Il fait doux, le vin n’est pas cher, un sans abri roupille sur un banc et les guirlandes lumineuses font leur effet. Ils se sentent dans leur bulle et pour ce soir, on ne parlera pas des guerres du monde ni des gosses qui n’ont plus de respect.
VERSO
Le père dit à son fils de bien fermer la porte de sa cabine. Il lui répète à plusieurs reprises, de bien fermer les deux portes et de pousser le petit loquet parce que personne n’a le droit de le voir tout nu. “Sinon tu me le dis, hein ! Je débarque tout de suite ! J’y vais moi, je te laisse te débrouiller. On se retrouve de ce côté là. Pas de l’autre côté mais le côté là, tu as compris ?” Il répète encore au gamin de se débrouiller et qu’il s’en va de l’autre côté et lui rappelle de ne rien oublier. C’est important de ne rien oublier. Sa voix résonne dans l’écho étrange des vestiaires des piscines municipales, on a l’impression qu’il est dans toutes les cabines en même temps. Il dit à son gamin de se changer tout seul, mais non pas comme ça ! On a du mal à comprendre si il est avec lui dans la cabine ou si de son instinct de père il sait que son fils est en train de faire n’importe quoi. Il ne cesse de répéter qu’il s’en va vers la sortie se sécher les cheveux mais en même temps il reste à discuter avec son fils – même si ce dernier ne répond pas – comme s’il voulait faire durer ce moment de complicité. “Ferme la porte ! Tu as fermé la porte ?” Moi aussi, je vérifie si j’ai fermé ma porte de cabine. “Tu mets pas le maillot dans le même sac, après ça va être trempé sur le vélo ! Tu le mets dans un autre sac que je te donnerai après. Tiens, tu le mets dans ce sac là.” Ce père ne cesse de se contredire dans son envie de laisser son enfant s’autonomiser. Ça pourrait être agaçant mais il a quelque chose dans la voix de touchant. Un accent. Une trace d’accent qu’il essaye de camoufler dans sa panique. A un moment surgit la voix du gosse dans ce brouhaha paternel “Peut-être que Hakim il va encore commander un uber eat ce soir ?” Le père ne répond pas. Son silence fait écho aussi dans les vestiaires. “C’est un raté ton frère.” lâche-t-il enfin. Sa voix est différente. “Pourquoi ?” demande le gosse. “Il n’a aucune motivation. Il ne fait rien. Il ne va même pas acheter sa nourriture lui-même.” Le gamin proteste quelque chose qu’on n’entend pas à cause d’un sèche cheveux. Quelque temps après reviendra la voix du père qui lui demandera de vérifier de nouveau s’ il n’a rien oublié. Le ton enjoué sonne faux désormais.
Les scènes du « recto » sont vivantes et bien campées, comme les personnages, c’est très plaisant à lire. Peut-être quelques répétitions à enlever ?
Très vivant ! Assez fascinante et touchante la scène du père et de son fils
Merci pour l’atmosphère très touchantes de vos scènes, de votre écriture.