#rectoverso #01 | Dehors, dedans

Quand nous étions petits, et que les soirs d’été nous n’avions pas d’électricité, on faisait du vélo sur cette placette. Il n’y avait pas d’électricité à la maison ni dans la rue, et nous nous orientions dans le noir sur nos vélos comme des chauves-souris. La placette, desormais, a été rénovée, plus propre : les manèges changées, les murs silencieux grâce à une nouvelle couche de peinture. Sur un mur, une connaissance avait écrit des mots dans un italien grammaticalement incorrect ; sur un autre, des phrases impertinentes écrites en dialecte que, intuitivement, nous pouvions lire même sans l’avoir appris à l’école, car elles correspondaient aux expressions que nous utilisions à l’oral. Maintenant, une femme parle au téléphone. Détail pertinent : en italien. On dirait une mère. Elle parle au téléphone d’une personne inscrite dans un lycée linguistique, qui est bonne en anglais, et dit qu’il y aura toujours plus de filles sages. « Il y a beaucoup de mensonges. » Tandis qu’elle parle, elle s’approche et s’éloigne, et le volume de sa voix change aussi. Tantôt déclarations publiques, tantôt confidences secrètes. Elle se rassoit à la table et demande au serveur si l’autre serveur est déjà parti en vacances, et s’il va s’engager inscrire dans l’armée de l’air en septembre.

*

Maison devant le monument aux morts des deux guerres mondiales. Ciment, deux plaques commémoratives distinctes, classées par ordre décroissant, de la plus ancienne à la plus récente, une poignée de noms suivant les proclamations ronflantes. Sur le balcon de la maison, une mère balaie et son fils est contraint de rentrer pour lui faire de la place. Il ne proteste pas. « Il faut aussi acheter les vis… pour accrocher… ces trucs… avec des clous, les tableaux », dit-elle. Le père regarde le climatiseur, à l’autre bout du balcon. « Toujours ces mégots, tu peux parier que… », mais je n’entends pas ce qu’on peut parier.

*

Dans le jardin : des pots de fleurs tout autour, des dizaines, et deux grands seaux remplis d’eau froide. L’année dernière, j’ai sauvé un lézard déshydraté sur les pavés brûlants. Je l’ai ramassé et arrosé jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux. Ma mère me dit que ses chiens ont besoin de bains fréquents. Une ambulance passe, ce qui n’est pas rare ces jours-ci à cause de la chaleur – du moins, c’est ce que mes parents m’ont toujours expliqué, et je me suis toujours contentée de cette explication, qui ressemble maintenant davantage à un conte de fées raconté aux enfants pour les mettre en garde. Ma mère veut « appeler quelqu’un », c’est-à-dire une femme de ménage pour l’aider à faire le ménage. Son âge se fait sentir, la maison est grande. Ses doigts sont immobilisés par l’arthrose, ou peut-être l’arthrite. Je ne suis pas d’accord – ni avec « appeler quelqu’un », ni avec le fait qu’elle vieillisse sans que je m’en aperçoive.

2 commentaires à propos de “#rectoverso #01 | Dehors, dedans”

  1. Ces petits cyclistes chauve-souris, et cette mère qui ne doit pas vieillir. Texte touchant. Merci pour ces mots, ces images.

  2. .. ne pas être d’accord avec la vieillesse qui s’affiche sur le visage de l’autre…toute une histoire d’acceptation…merci pour ce texte ..oui… comme l’écrit Betty… touchant.