RECTO
Fragment 1
A ce stade de la nuit, je sommeille à poings fermés, poings serrés, non pas les poings mais la main molle et pendante, touchant d’un côté du lit, presque le sol et l’autre agrippant le dessous de l’oreiller comme pour l’empêcher de s’échapper.
Fragment 2
A ce stade de la nuit, le corps allongé sur le ventre, les jambes repliées, je porte une simple chemise de nuit dévoilant, de part et d’autre, ma peau. Pas de draps, seulement la fenêtre entrouverte et l’air frais. Je dors ? Pas si certaine, il me semble être encore éveillée à surprendre les rumeurs nocturnes.
Fragment 3
A ce stade de la nuit, par la fenêtre, les étoiles luisent. Pourquoi sommes-nous si éloignés ? Que voient-elles de leur côté ? Y a t-il des personnes dans l’une d’entre elle ? Sont-elles véritablement blanches ? Pourquoi sommes-nous plus bas qu’elles ? Ne puis-je les voir de haut ? Pourrai-je les toucher ? Mille questions silencieuses sans réponses.
Fragment 4
A ce stade de la nuit, j’écoute mes chiens rêver, leurs corps secoués par des soubresauts.
Fragment 5
A ce stade de la nuit, je me demande si je souhaite réellement l’arrivée du lendemain.
Fragment 6
A ce stade de la nuit, j’allume la lumière, attrape mes lunettes et lis quelques pages de Cinq méditations sur la beauté de François Cheng en faisant semblant de tout bien comprendre.
Fragment 7
A ce stade de la nuit, je n’écris rien. Ce qui me parait emporté, inspiré n’est que désastre, ruines et poussières à mon réveil.
Fragment 8
A ce stade de la nuit, je construis des rêves érotiques, couchant avec le monde entier, sans jamais sortir de mon lit.
Fragment 9
A ce stade de la nuit, je me rendors et me réveille complètement hébétée.
VERSO
Je suis dans la salle de cinéma, il n’y a plus de publicité ou de bandes-annonces que des affiches animées, je déteste cela. Le son s’amplifie. C’est une histoire de motos pétaradantes, d’hommes-motards, de cuir, de chewing-gum, d’un héros interprété par Austin Butler, un si joli garçon que je deviens midinette et remplace l’héroïne malheureusement dans ma tête. The Bikeriders est le titre qui s’inscrit sur l’écran comme dans les années 1960, à l’ancienne. Je regarde autour de moi, je suis seule. Les étoiles brillent dans la nuit quand je sors de la salle noire, rêveuse, je lève les yeux au ciel et les regarde longuement. Je cherche ma voiture dans le parking, les jeunes du basket ne sont plus là, d’autres comme moi, rentrent chez eux, phares allumés, marche arrière, pas de bruit, même pas une moto, tout est électrique. Le cinéma étant loin, j’avais du prendre ma voiture, me garer entre les bandes blanches, passer devant le terrain de basket où les jeunes désoeuvrés jouaient au ballon, avais du longer le parc, m’introduire dans les petites ruelles, passer devant l’EPHAD en me jurant de ne jamais y aller, slalomer entre les feux rouges et les sens interdits, me souvenir où je m’étais garée, monter dedans et sortir de chez moi. Je ne vais plus si souvent au cinéma.
je vis pleinement les soubresauts qui agitent le corps des chiens
forte cette image, je la garde en moi déjà
je te retrouve dans la solitude de la salle de cinéma
salut amie Clarence, et à partager encore autant que possible…
Oui c’est toujours beau les rêves des chiens, merci Françoise.
Ce troisième fragment, méditation éternelle sur la mécanique céleste. Pourrons-nous un jour sentir cette distance qui nous sépare d’elles ? L’idée d’en faire le tour semble capitale. Nous faisons le tour d’un chêne, mais faire le tour d’une étoile ? En gardant la même distance ? Merci pour cette évocation.
Merci pour le regard Arthur, à bientôt.
Comme Françoise, les soubresauts des chiens, belle image…
La nuit, ce sont ces détails qui font la différence, avec les questions que charrient les insomnies, auxquelles on ne pense plus, le jour venu !
C’est vrai, la nuit, le jour, les choses diffèrent, merci pour la lecture.
J’aime beaucoup ces fragments. Merci Clarence
Merci Muriel à te lire vite.
complètement avec ce Je dans sa nuit . Toujours cette présence si forte du corps . Merci Clarence et pour la belle ‘image des chiens
C’est grâce à toi que je prends conscience de la place du corps aussi présente dans mes textes. Je pense que le fait de poser dans la vie a un rapport avec cette attention, à bientôt Nathalie.
c’est tellement vivant cette nuit trop longue et cette séance ciné
Merci Catherine, à te lire vite.