#rectoverso #06 | Rien à dire





En tout premier quand je me lève, je tartine. Une demi-baguette, du beurre et de la confiture. Ensuite, je me fais un café bien serré. J’allume la radio et je mange en silence. Puis je prépare le plateau pour ma femme et doucement, je vais la réveiller avec son p’tit déj. C’est comme ça tous les jours depuis des lustres. Et j’y tiens à cette routine. Je suis d’un caractère heureux paraît-il, bon vivant, aimant et peu encombrant. Voilà. C’est appréciable. Que voulez-vous que je vous dise ? Les morts, je ne veux pas en parler. Je n’ai rien à en dire. Faut les laisser tranquilles. Je les aime tous. Tendrement. Assidument.

La famille des défunts voudrait des A mon amour pour toujours ou bien Que dieu te bénisse ou A mon regretté mari mais je les connais par cœur mes allongés à demeure et je leur fait de jolies épitaphes qui leur ressemblent et honorent leur mémoire. Je fais fi des convenances. Faut de la joie, du respect, de l’authenticité. Je forme de belles lettres que je travaille en incise ou en relief. Mes inscriptions se veulent un témoignage vrai, sincère de leur vie car ils nous regardent. Pas vrai ? Par exemple, je peux graver :
Merci à toi, mon Dieu, de me laisser partir
A 90 ans, mon mari peut enfin
Se la couler douce

ou
La pluie tombe à verse sur les visages
On ne voit pas ma fille pleurer
Aimez-là en souvenir de moi

ou
Il s’appelle Sushi et aime les sous-bois.
Parmi les ombres, il vaque et aboie tout son soul.
Sois heureux mon bijou

ou
Ivrogne, je l’étais. Et doux comme un agneau
Je suivais ma bouteille. Maintenant sous l’humus,
J’ attends qu’elle me revienne.

Mes enfants me disent relou, mes voisins perché quant à ma femme, faut pas lui en conter. Elle m’aide en me ramenant du marché quelques anecdotes qui me servent pour exercer mon métier. Dans ce village où mon père et mon grand-père l’étaient avant moi, je suis votre graveur de pierres tombales. Sur ma tombe, je voudrais être fair-play avec la mort.
Je verrais bien quelque chose comme :
J’étais un bel amoureux.
Et frais comme un gardon,
Je viens à toi Belle endormie.


A propos de Louise T.

Des fragments de vies dans divers lieux Afrique du Nord/France/Côte d'ivoire/ France. Villes et campagnes. Ecriture et Lecture. Aimerais être en lien plus étroit avec moi.

12 commentaires à propos de “#rectoverso #06 | Rien à dire”

  1. Au début , j’étais un peu surprise par l’approche (quel thème difficile déjà), et puis ça a marché, j’ai marché, j’ai aimé et j’applaudis, merci Louise!

    • Merci Monika. Réticente à écrire sur cette consigne, j’ai attendu jusqu’au dernier moment.

  2. J’aime votre personnage chelou, perché et j’éclate de rire!. Vous avez réussi à injecter de l’humour dans ce thème les morts (pour moi difficile).
    Bravo
    Un grand merci.

  3. J’ai lu à voix haute votre texte à toute ma famille. Tout le monde a adoré. On a souri, et ri. C’est tendre et plein d’attentions et ça fait du bien quand on parle de mort !