#rectoverso #09 | Questions de goûts

Blanc laiteux, crémeux, dégoulinant presque écœurant, le fouet qui s’en va battre la matière. La main qui fouette et qui bat est câline.

Baignoire rutilante comme un cadeau des Trente glorieuses, baignoire chauffée d’une eau mousseuse appétissante, où se glisse un corps impatient, les yeux pensifs fixés vers le plafond nébuleux. La baignoire est grande quand elle contient un corps d’enfant.

Par la fenêtre, les nuages et la blancheur d’un ciel neigeux. Les yeux sont grand ouverts pour dévorer la neige sur les toits, dans la rue, et, pieds nus, jouir par la plante de la chaleur diffusée par le chauffage central.

Le four est très brûlant. Il se gratine des délices qu’on ne peut que sentir. C’est surprise aujourd’hui. La boîte d’allumettes grand format aux couleurs Banania est posée sur la table.

La tasse dans laquelle l’alcool de poire se marie gentiment avec un reste de café, dans laquelle un sucre est trempé d’un geste rapide, imbibé suffisamment pour qu’il change de couleur, sucre mouillé qui brûle la gorge de l’enfant assis sur les genoux de son père. Rires complices.

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Les assiettes sont des lits. Les ébréchures sont des fractures. Les verres ont des mains invisibles et des bouches gourmandes. Les vestiges d’un repas sont des cathédrales branlantes où viennent se coller des mouches. La tempête en bouilloire et sa colère qui monte, des doigts qui goûtent et qui dégoûtent. Combien de coquilles de noix, d’œufs, de coquilles vides. Laisser venir les épluchures et la nature, observer les os des carcasses. La pourriture a du bon et des couleurs délicates. Les petites choses ont des secrets qui s’évaporent et disparaissent. S’il te plait, ferme la porte.

A propos de Sylvia Boumendil

J'ai été éducatrice puis formatrice. J'ai suivi une formation "Histoire de vie en formation" à l’université de Nantes, un séminaire à Paris 8 "Faire l'histoire de nos apprentissages de la lecture et de l'écriture" et j'ai été formée à l'animation d'ateliers d'écriture dans la maison de Julien Gracq à St-Florent sur Loire "Lire et écrire en pays de Loire". J'ai publié un livre d'art et des textes dans des ouvrages collectifs. Sites : ecrire44.fr / sylviaboumendil.fr

13 commentaires à propos de “#rectoverso #09 | Questions de goûts”

  1. J aime beaucoup l énergie qui tourne dans les blancs des premiers et monte en mystère dans le dernier. Avec cette porte inattendue qu il faudrait…ouvrir.

  2. On se retourne, et hop, l’énergie est ailleurs !
    J’aime ces petites touches ici et là, sucre trempé suffisamment pour que… Vestiges d’un repas…Cathédrales branlantes…

  3. L’accent est mis sur nourritures et objets. Les lieux se lisent en creux. « ferme la porte » comme pour retenir « petites choses » et « secrets qui s’évaporent et disparaissent. » Merci Sylvia.

  4. beaucoup d’affinités avec tout ce que tu décris
    et quelle douceur dans les premiers petits volets, et on sent où ça va puiser
    j’ai retenu « La baignoire est grande quand elle contient un corps d’enfant. »
    et ce contraste brûlant avec la fin rapide et rythmée qui vient nous bousculer…

  5. Le chemin des blancs, belle idée que ces liens par la couleur . Le précipité de la fin comme un possible ensevelissement ? Les choses et les corps les traces.., merci d’avoir ouvert la porte

  6. la pourriture a du bon…mais oui et le compost est là pour nous le rappeler, merci pour ces gestes fins du recto et l’envers du décor et ce qu’il en reste

  7. J’ai beaucoup aimé ce texte, aspirée par le blanc, le crémeux, le mousseux et comment tout se lie se mélange avec gourmandise. Merci

  8. J’adore cette dérive du blanc vers le marron brûlé jusqu’à la fusion du blanc et du noir dans la tasse. et le renversement table/paysage. C’est très inspirant. Merci beaucoup.