L’homme est assis sur une mauvaise chaise de paille et de bois. Ses deux pieds touchent le sol, ses épaules s’affaissent, ses coudes se maintiennent péniblement sur ses cuisses, son visage est replié sur ses doigts, ses yeux dans le creux des mains. Pleure t-il ? Peut-être mais on ne peut percevoir ni larmes, ni sanglots, ni cris, ni un quelconque son. On ne peut distinguer ses yeux, juste son crâne lisse entouré de quelques cheveux épars. Il pourrait s’effondrer dans le sol de la terre si un trou advenait tant son être semble porte en lui tout le poids du monde mais peut-être est-ce simplement du désespoir ou une colère sourde qui gronde en silence. La posture laisse poindre l’abattement de cette silhouette fine dont le crayon de bois a dessiné les modestes vêtements et contours. Que vit cet homme posté devant une cheminée éteinte où quelques fagots se tiennent à même le carrelage ? De quels tourments est-il infligé ? Peut-être a t-il perdu son travail ou sa femme qui s’en allée sur les chemins ou rejoindre les anges ? Peut-être n’est-il que chagrin en ce jour gris et torturé ? Peut-être…
VERSO
Il règne un certain mystère autour de cette petite carte postale que je viens d’attraper du bout des doigts pour la poser sur ma table à portée de mon regard. Elle représente un dessin, une esquisse faite au crayon en novembre 1882 par Monsieur Vincent Van Gogh. Elle s’intitule Worn out ce qui se traduit par usé, épuisé. Elle aurait pu s’appeler effondrement, désespoir mais je ressens bien que l’artiste ne souhaite parler que de cet homme qu’il a installé sur cette chaise. Il ne représente pas l’épuisement ou l’usure. Il est comme au bout du rouleau, comme incapable ne serait-ce que de relever la tête. Je connais cette posture pour l’avoir vécue sur moi-même, je connais cette sensation, comme ne plus savoir comment se redresser. On pourrait imaginer qu’il est triste ou en colère mais le peintre indique par son titre que l’on est bien au-delà. Usé, un terme proche de hors d’usage, vieux, défraîchi ou encore élimé. Ce serait donc un être en ruine qui est exposé dans ce musée à Amsterdam où je me trouvais il y a peu. J’entre dans la boutique, je la vois, je sais qu’elle est pour moi, je l’achète. Je suis bouleversée par elle, je m’y reconnais entièrement. Et pourtant, chose étrange, je n’ai, à cet instant même, aucun souvenir de l’avoir vu exposé dans le musée, aucun. Pas un seul recoin, un espace, une pièce dans laquelle je revois cette oeuvre installée en format 50 x 32 cm comme détaillé au dos de la carte. Rien dans ma mémoire qui retrouve cette attitude si frappante que j’ai aperçu au premier coup d’oeil. Il est trop tard pour revenir sur mes pas. Je sors avec la petite pochette de papier blanc et quelques jours après, je l’accroche dans les murs de chez moi et la regarde longuement.
A propos de Clarence Massiani
J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.
7 commentaires à propos de “#rectoverso #12 l Worn Out.”
Quand j’ai lu le recto de ton texte et avant même de voir la repro du dessin, j’ai immédiatement pensé à ce dessin de Van Gogh que je connais et qui m’a toujours bouleversée. Ta description est très proche des émotions qu’elle suscite.
Peut-être pas 146 peut-être (pas compté ) mais comme tu les as remplacés par du conditionnel dans la partie verso, c’est presque tout comme. Merci !
Ce que tu attrapes avec justesse c’est ce déjà-vu des œuvres qui, comme des scanners, nous montrent les coups que nous avons pris à notre insu. L’épuisement est un grand sujet tragique. À bientôt.
Merci de m’avoir donné l’envie, d’un pur mouvement de fraternité, de me pencher vers l’homme usé, épuisé…
Tu nous fais superbement entrer dans l’image. Beaucoup d’émotion à te lire.
Magnifique. Merci Clarence.
Merci pour cette écriture sensible qui dit avec force les traits du dessin de VanGogh, l’épuisement du personnage. Merci Clarence
Le « verso » donne sens au « recto », invite à y revenir, tu dis si bien cet épuisement.
Quand j’ai lu le recto de ton texte et avant même de voir la repro du dessin, j’ai immédiatement pensé à ce dessin de Van Gogh que je connais et qui m’a toujours bouleversée. Ta description est très proche des émotions qu’elle suscite.
Peut-être pas 146 peut-être (pas compté ) mais comme tu les as remplacés par du conditionnel dans la partie verso, c’est presque tout comme. Merci !
Ce que tu attrapes avec justesse c’est ce déjà-vu des œuvres qui, comme des scanners, nous montrent les coups que nous avons pris à notre insu. L’épuisement est un grand sujet tragique. À bientôt.
Merci de m’avoir donné l’envie, d’un pur mouvement de fraternité, de me pencher vers l’homme usé, épuisé…
Tu nous fais superbement entrer dans l’image. Beaucoup d’émotion à te lire.
Magnifique. Merci Clarence.
Merci pour cette écriture sensible qui dit avec force les traits du dessin de VanGogh, l’épuisement du personnage. Merci Clarence
Le « verso » donne sens au « recto », invite à y revenir, tu dis si bien cet épuisement.