
Recto
Choses qui laissent des traces qu’on ne veut pas toujours voir
La poussière sur les meubles
Le rond laissé par la tasse à café sur la nappe cirée
Les empreintes digitales, noires, sur l’interrupteur, en bas de l’escalier
Le cadavre de la mouche, sur le carrelage, dans le coin, inaccessible pour l’aspirateur à gros embout
La toile d’araignée, autre recoin mais du haut, là, paisiblement installée, paraît que c’est bon signe, adage, maison saine, bref ne pas y toucher
La terre déposée par la chaussure mal essuyée un jour de mauvais temps et qui, tranquillement, s’installe, éphémère sédiment
La fissure sur le mur de l’ouest, elle avait déjà commencé avant, mais avant quand ? On ne sait pas, mythe de la craquelure qui va avec la maison, on vit avec, le lierre finira bien par tout cacher ou tout emporter, on dit que ça bouffe les façades, les lierres, on laisse faire quand même, c’est plus simple
Les cicatrices de toutes façon il n’y a que le temps, ça les estompe un peu mais on voit toujours. Le chirurgien avait prévenu, vous êtes sûre ? Réparer sans traces c’est impossible, soit on reste lisse et on pourrit de l’intérieur soit on ouvre et on conserve la balafre à vie
Les stigmates, qui ne sont ne sont pas tous sacrés, non hélas, sinon ça se saurait, on aurait de faiseurs de stigmates comme les faiseuses d’anges, pour interrompre le cours lisse de la peau, les stigmates qu’on cherche à dissimuler ou à exhiber, peut-être selon l’endroit, c’est pas pareil d’avoir un stigmate sur les mains ou sur les fesses, et que dire du ventre ou du mollet?
Verso
Choses qui froissent
Choses qui fanent
Choses qui grandissent sans qu’on s’en aperçoive
Choses qui foutent le bourdon quand on y pense
Choses qu’on ne dire jamais parce que justement on aimerait tellement les dire
Choses qu’on entend sans écouter
Choses qu’on dissimule à tout jamais, promis, juré, craché
Choses qui devraient émerveiller mais qui rendent tristes
Choses à soi qu’on ne veut pas partager
Choses tout court mais après tout c’est quoi une chose ?
Codicille
L’écriture se fait dans un temps consacré assez court, entre les choses à faire : liste des choses à faire entre lesquelles caler le moment d’écriture. Maman ?oui c’est pour quoi ?Non je ne trouve pas le pantalon que tu veux absolument mettre ce soir. Si pourtant je suis presque à jour dans les machines à laver . Écrire. Le pantalon doit être dans ce je-ne -sais -quoi- et- le -presque -rien du fond de la balle à linge pas encore lavée. Et pas assez de temps pour lire Janké (heureusement il y a Kelev), il faudrait, nouveaux cours à préparer. Écrire. C’est trop cuit ? Ben tant pis tu n’es jamais contente, mange tes légumes c’est bon pour la santé, arrête de grignoter. Écrire. Maman tu viens me chercher à 18h, t’es pas en retard parce qu’après je ressors, tu m’emmèneras, hein maman ? Écrire. Dormir. Ranger. Laver. Travailler. Liste des choses ordinaires entre lesquelles respirer pour écrire.
C’est très réussi, merci, Marie-Caroline, et bravo de trouver un temps pour l’écriture dans votre journée de mère de famille/
Merci Emilie pour ce chaleureux retour!
c’est malin d’écrire dans les intervalles, mais après faut pas s’étonner que le mur se fissure
Ah oui, ça craquèle de tous côtés…;)
Toujours le plaisir de lire du Marie-Caroline. Qu’est-ce que c’est bon parfois d’être à la retraite ! Ecrit-on plus pourtant et lit-on plus levitch ?
Oh Danièle, ravie de te retrouver et merci pour ta lecture ! J’adore la question !
Merci pour l’attention porté aux traces dans un monde où la disparition (en voie ou non, intime ou collective) rôde voire hante !
J’aime aussi beaucoup le codicille qui donne de la légèreté et de l’élan pour continuer à écrire malgré, malgré, malgré 😉
Merci pour l’attention portée au texte et à ses traces périphériques…