On avait coutume de parler du cellier. On ne sait pas trop si ce mot procurait plus d’effroi ou d’émerveillement. Normalement c’est là qu’on range les provisions. Il avait vu ça plusieurs fois chez des copains, de belles étagères à conserve, des cagettes à patates…Chez lui, il ne se rappelle pas y avoir vu autre chose qu’un énorme congélateur-coffre interdit à soulever- et une cloche à fromage où s’asséchaient péniblement quelques rigottes, réservées au père. Jamais il n’avait vu la mère s’en couper ne serait-ce qu’un bout. Elle raccrochait chaque soir son tablier au petit crochet fixé derrière la porte de la pièce, comme pour signifier qu’il était temps d’aller au lit, plus rien à faire, la vaisselle sèche. Le tablier portait quelques auréoles, elle ne devait pas le laver bien souvent, de toute manière on est pas là pour parader. Ce petit tablier rouge à pois blancs jaunis sur lequel elle essuyait ses mains, bien souvent après avoir passé son bras sur le front pour balayer la transpiration, oui ce petit tablier, il n’avait que ça pour lui tenir compagnie pendant les longues heures au coin, File au cellier ! Le père l’y envoyait pour un oui pour un non, surtout à mesure qu’il descendait des canons. Alors il comptait les pois jaunâtres sur le tablier maternel, unique réconfort dans ce cellier rempli de l’aigreur des petits fromages défraîchis dont il abhorrait le parfum. Parfois même, les yeux emplis de larmes, il se fourrait le nez dans le tablier encore humide où flottait un mélange de liquide vaisselle, d’ail et de lard fumé.
Sans doute ne pouvait-elle pas s’acheter autre chose que du café premier prix, la vielle, ce café acre qui vous fout la gerbe quelle que soit l’heure. Elle s’était dit que peut être c’était parce qu’il était seize heure et qu’à seize heures et plus, le café la rendait malade. Mais elle n’osait pas le dire, le café était comme scellé aux murs de la petite cuisine, il faisait partie du rituel, la grand-mère n’aurait pas compris qu’on demande un thé, c’était pas dans les mœurs de boire du thé, c’est pour les bourgeois ça, le thé ! Comme la robe qu’elle portait ce jour-là, ma pauvre fille tu vas où comme ça ? Non il fallait savoir rester discrète, boire son café dans le silence religieux de la petite cuisine aux tapisseries d’un autre temps, avec de petits angelots sur les rideaux qui semblaient eux aussi asphyxiés par les relents du café bas de gamme réchauffé maintes fois depuis le matin.
D’un côté comme de l’autre, ça sent le roussi et c’est super bien vu ! Merci
Merci Louise!!
Bonjour Ugo,
Ce réel qui revient , passé les haikabandonnés.. Parce qu’on est passé par cette voie, ta voix en ressort plus forte, plus limpide, avec la distance de l’île océane
Pas l’indifférence, pas l’ absence, mais une voix dans la nuit.
Ah, Isabelle, Ugo lira peut-être ce message ici mais c’est surtout Marie-Caroline que ça va amuser 😉
Ah oui! je transmets à Ugo!
Pas très gai, mais vrai. J’ai beaucoup aimé les détails des tissus : les « pois blancs jaunis », les « angelots asphyxiés ».
Merci pour cette lecture Emilie, à bientôt dans les textes
Dans le Forez, c’est pas gai.
Mais ça fait plaisir de revoir tes textes par ici (et leur ambiance)
On reconnaît le connaisseur du Forez….Merci Philippe d’être passé par là
De belles ambiances très cinématographiques même si pas gaies.
Merci Cécile, oui en effet la gaieté ne s’est pas invitée dans les pièces…merci pour cette lecture
Tu nous fais plonger dans ces tableaux on où entre après quelques mots, et nous voilà à côté du personnage confiné au cellier, et dans la cuisine de la vieille.
Merci Laure je suis touchée