#rectoverso #01 | des lieux communs

Recto Ernaux

Une trop grande place carrée, pour tout ce qu’elle étouffe, quatre arbres redoublent ses coins, aucune ombre, des pigeons y marchent bas. Des bancs plein soleil entourent une fontaine. Les plus vieux sont assis, dans l’attente d’un jour qui n’arrive plus, les plus jeunes courent, ignorant le monde qu’ils tentent d’attraper. 

C’est comme un globe scié, un hémisphère nord ou bien un sud sens dessus dessous, posé là face à la gare, derrière laquelle traîne d’infinies tentacules de fer. Le globe donc est un des autres accès à ce que la Terre renferme, on y descend comme si on avait trouvé une porte dérobée, comme vers le noyau. Des foules sortent rentrent se suivent détournent contournent se précipitent dedans dehors dessous au-dessus. Leurs mouvements sont coordonnés, personne ne va au même endroit mais ils semblent tous y aller ensemble. Le mouvement est constant, comme un seul corps qui bruit. 

Des tentes sous un pont, elles ne relient à rien. Il n’y a plus rien entre ceux et celles qui les hantent et les autres, les gens du dedans. Les tentes sont habitées, les piétons qui traversent le tunnel passent en faisant comme si elles n’y étaient pas ou alors, les voyant, comme si leur place devait être là, pour qu’eux puissent être ailleurs. Ils se hâtent d’y aller, vers cet ailleurs. 

Annie Verso

Trois hommes armés entourent un autre, c’est un homme aussi mais pas du même monde. Il ne fait pas leur taille non plus. Trois géants aux yeux qui ont peur, aux armes tremblantes l’entourent donc. « Que fais-tu ici » la voix est nasillarde « papiers d’identité » une autre encore, « vous avez dit que étiez arrivé tôt ce matin, d’où veniez vous ? »  des accents se voulant humains, « pourquoi êtes-vous ici », un peu plus loin, un autre, arborant les mêmes insigne et couleurs, parlant au téléphone « l’individu déclare avoir 17 ans, il en fait 6 de plus ». L’individu sans nom sans histoire regarde ses mains, il découvre ses doigts. « je les ai oubliés à la maison » sa nuque est basse et porte du monde plus qu’il ne le devrait. Ses yeux évitent de se distraire. Les agents de l’État s’impatientent, ils tournent autour du jeune homme, des boxeurs sur un ring qui jouent le défi, le courage en moins.  

A propos de Lamya Ygarmaten

de prof à rédac chef, j'aime bien lirécrire.

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