#rectoverso #02 | danse de nuit

À ce stade de la nuit, la montagne dissimule un quart de la boule lumineuse de la lune, comme le point amoché du i. Je pense à cette femme tout à l’heure qui disait qu’elle n’avait pas dormi à cause de la pleine lune. Ne le sachant pas, je pense avoir bien dormi hier. Si je ferme les volets, si je calfeutre la chambre, j’oublierai les rayons nocturnes perturbateurs du sommeil. Il n’y aura plus que l’obscurité, sombre promesse de rêves et d’oublis. Et si j’installe les petites mousses rouges dans mes oreilles, une fenêtre de plus se ferme sur le monde extérieur ; je m’enfonce dans la profondeur intérieure.

À ce stade de la nuit, poussée par un irrépressible désir, je pousse d’un revers de la main les volets qui ouvrent sur la voûte étoilée. Le trois-quarts de lune n’a pas bougé, le ciel est si clair qu’il laisse scintiller les étoiles. Aspirée par la toile dressée devant moi, je titube jusqu’à l’autre fenêtre pour goûter un spectacle différent. Le regard parvenant au dernier point fixe du sommet et s’attardant un peu appelle une vertigineuse plongée vers l’autre versant. Je regagne à petit pas la chambre noire.

À ce stade de la nuit, les étoiles ont disparu pour laisser place aux premiers doigts de rose. Il est encore trop tôt, il est encore nuit, encore temps de s’endormir. J’accorde grâce au jour qui pointe à peine pour laisser entrer les rais de fraîcheur. Le spectacle peut continuer en rêve. Cernée par les chants précoces des oiseaux, j’installe mon décor de nature. En toile de fond l’Arbizon, au premier plan la danse des hirondelles. À ce stade de la nuit, il est encore temps.

Le spectacle commence pour la spectatrice endormie. Mais il faudra se contenter de fragments et reconstruire difficilement l’histoire après coup. Il faudra accepter de ne pas comprendre et d’avoir oublié des morceaux. Il y aura une lune comme un gros fromage en parti dévoré, des ours qui dansent et qui voudraient toucher les étoiles, des hirondelles qui effritent la pente montagneuse à tire d’aile et des belles de nuit qui jouent les vagabondes. Il y aura un plan unique animé : la danse des ours, le vol des oiseaux, le balancement des fleurs. Il y aura le cri des bêtes, le bruit de la fontaine, puis la cloche de l’église qui remettra le temps en mouvement. Il sera temps de sortir de la nuit pour aller vers le jour.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.

3 commentaires à propos de “#rectoverso #02 | danse de nuit”

  1. Faute de se voir en vrai, c’est chouette de se croiser via nos textes ! J’ai voyagé avec avec toi de fenêtre en fenêtre, admiré la nuit etoilée, la lune et la danse des hirondelles. Merci pour ce texte, beaucoup aimé aussi le verso !