A ce stade de la nuit j’entends la pendule qui siffle légèrement en se balançant. Ma tête est lourde embrumée mon dos douloureux. Les assiettes tachées de reste de spaghettis font le bonheur des mouchettes dans l’évier. Je cherche en vain la force de me lever pour les laver. J’attends. J’attends qu’il revienne. Je le redoute aussi. Mon corps s’affole de son absence. Cœur qui bat. Nausée. Pensées éclatées. J’en peux plus. Je ne veux plus. J’ai peur. Je veux qu’il soit là. Je rêve qu’il crève. Faites qu’il revienne. Pourquoi je n’arrive pas à faire plus d’effort. Il a raison. Je n’aurai pas du crier. Le problème c’est moi. Non c’est lui. Il ne s’excuse jamais. Oui mais je crie. Ca n’en finis pas de s’entrechoquer dans ma tête. J’attrape la boite rouge dans le placard blanc au-dessus de l’évier. Une langue surette verte et orange densément acidulé m’apporte un bref répit. La lumière du voisin en face est encore allumé.
A ce stade de la nuit je me vois. Le corps étrangement penché près de l’évier la tête qui pend. Mes yeux grands ouverts me font un peu peur. Je suis seule ici. Seule avec mon corps là. Je ne bouge pas. Je me vois. Le bleu sombre commence à s’éclairci par la fenêtre. La voisine démarrer son tracteur. Une voiture passe sous la fenêtre. C’est étrange de se voir. Ce n’est pas comme se voir dans un miroir. Je me vois en volume. Je vois tout de moi un peu décalé. Je réalise que je suis toujours. Même si mon corps est-là bas. Quoi faire. Rester avec moi la bas bizarrement penché ? Je n’ose pas regarder ce que je suis qui perçoit mon corps là-bas. Qui va me trouver ? Quand ? Qui va s’occuper de Nadie ?
A ce stade de la nuit je me blotti dans les draps de flanelles bleu vert à pois blanc. C’est doux et enveloppant en même temps qu’un peu trop chaud. Je sens les échos de sa peau sur la mienne les traces de ses mains m’ont rempli. Je me sens pleinement repus de moi à l’intérieur de moi. C’est une sensation étrange de saturation qui me détend et me soulage. Penser n’est plus nécessaire. Satisfaction de me sentir respirer, exister dans mon corps un léger sourire au lèvre. Celui des nourrissons après la tété quand le sommeil commence à leur flatter les yeux. Un état de béatitude bête. Qui s’épaissi encore de sentir l’air saturée de l’odeur de l’herbe qui a chauffé toute la journée que la fraicheur de la nuit vient exalter. Une senteur qui m’attrape le ventre et me remplit d’une jouissance sauvage d’être vivante.
A ce stade de la nuit je suis couchée. Les minutes s’étirent et se perdent dans l’attente du jour. Je sais que je n’arriverai plus a m’endormir. Lui ronfle. Je déteste l’odeur d’alcool qui empeste la pièce. Je ne peux pas ouvrir la fenêtre. Ca le réveillerai. J’ai trop chaud. La rage me tient éveillée. J’ai envie de le secouer. De hurler l’injustice qu’après la débâcle lui puisse dormir paisiblement comme si rien de lui n’était touché tandis qu’en moi tout est ravagé.
A ce stade de la nuit je suis assise dans mon lit. Je lis enfin j’essaie. L’esprit de solitude de Jacqueline Kelen pour tenter de me convaincre. Je lis pour me distraire de l’obsession. J’entends des bribes de musique et de voix d’une fête qui se donne au 5ème. L’obsession de l’attente de la réponse. Message envoyé ce matin. Pas de réponse.
A ce stade de la nuit de la nuit j’ai mal mais je ne le sens plus. J’ai pris un Dafalgan 1g. Ca fait passer la douleurs de sa colère qui ne s’arrête plus à mon corps. J’ai mal de me plaindre aux vagues amis qui sont restés, qui acceptent encore de m’entendre expliquer qu’il n’a pas appris quand il était petit, qu’il est bon dans le fond, que je suis la seule à voir parfois qui il est vraiment, que nous avons vécu des beaux moments, que je ne peux pas le quitter, qu’il y a Nadie, que si je fais plus d’effort ça va aller, que c’est normal qu’il s’énerve parce que c’est vrai j’en demande beaucoup trop. Je me sens défaite, impuissante. Je déteste celle que je suis dans ce lit. Rien que d’imagier déménager me semble insurmontable. Devrais-je prendre tous mes habits ? Ceux de Nadie ? Mais ils ne rentrent pas dans les deux valises bleues. Si j’achète une autre il va le remarquer poser des questions. Et puis quand ? A quel moment ? A qui demander de les porter ? Pour seule échos le silence et le chat qui gratte à la porte pour que je le laisse entrer dans la chambre. Il n’essaie que les soirs où il ne rentre pas.
A ce stade de la nuit je suis assise en tailleurs dans le fauteuil jaune. Je tricote une écharpe verte toute douce pour son anniversaire le 13 décembre. Il me reste à peine une semaine de tranche de nuit. Moi qui n’y croyais plus je lui ai parlé d’Amour de Peter Haneke. Dans le cocon de silence que berce le tintement des aiguilles me revient son visage si ouvert presque vulnérable quand il m’a accueilli à l’aéroport. Je me suis sentie choisie comme un trésors qu’on aurait enfin trouvé et ramassé. Alors je lui ai dit que la scène de l’oreiller je n’étais pas sur mais le soutenir jusqu’au toilettes et l’essuyer ça oui. Je rêve souvent de porter un lange m’a-t-il répondu. Je me suis sentie honorée.
A ce stade de la nuit je me réveille en pleurant. Il fait noire profond. Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Une douleur de solitude si intense que j’en ai le souffle coupé.
A ce stade de la nuit lui a fui. Je sens mon cœur battre vite. J’ai terriblement soif. Je me sens malade d’une manière nouvelle étrange. Je me sens confuse anxieuse. Le couteau git à portée de main. Je vois le rouge. Bizarre. Je me dis vaguement que je devrai faire quelque chose bouger appeler quelqu’un quelque chose. Nadie pleure. Les pleures qui réclame le sein. C’est ça je devrai aller vers la chambre l’allaiter. Je reste étrangement immobile englué dans une confusion qui s’intensifie en un brouillard intense qui me submerge.
Verso
Amour. 2012. Je me souviens l’avoir vu à l’UGC de la Toison d’or. La salle était certainement petite ou de taille moyenne et le public clairsemé. Y étais je seule ou en compagnie je ne pourrai le dire. Me reste cette sensation d’être tombée à l’intérieur de moi-même cernée par l’angoisse. Allais-je un jour rencontrer quelqu’un prêt à m’aimer jusqu’à m’étouffer ?
Merci Louise pour ce texte hautement bouleversant… Ces nuits sans sommeil seul.e avec soi- même et le réel qui frappe…Et en écho, quel film ! On aimerait davantage, mais le rythme est dense (pas sûre moi-même d’arriver au bout de la #02, si intense pourtant !)