#rectoverso #04 | Carnets d’yeux

RECTO

J’ai rouvert les yeux sur mes murs, je les revois chaque année au même moment selon la même lumière et j’attends la nuit pour revoir Vénus aux côtés de cette lune qui m’arrive en pleine face.

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Lorsque je fermais le velux automatique au point limite qu’un plan de lumière oblique traversait ma chambre, mes mansardes prenaient une couleur tout à fait particulière selon la couleur que rencontrait ce plan. Je m’enfonçais alors sous un drap plat en ayant pris soin d’installer une enceinte sur un rayon de la bibliothèque et je méditais en écoutant tout une œuvre. Je retravaille cet exercice à chaque fois que je me rends chez mes parents.

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Je ne connaissais personne en arrivant à Grenoble, j’avais emménagé avec une couette, un bureau et mes livres. Je me souviens alors de mes premières nuits tumultueuses, et cette fenêtre-vue-sur-la-chambre-d’hôtel-d’en-face. J’y fumais régulièrement une cigarette aux alentours de quatre heures du matin. Je lisais alors Schopenhauer dans cette grosse édition toute rouge dont j’ai oublié le nom. J’avais une grande lampe à pied noir qui éclairait assez jaune pour ne pas me blesser la vue. Schopenhauer est alors naturellement devenu cette lumière de la nuit troublée et studieuse.

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Un ami me rappelle souvent suite à son AVC le doute qu’il observe face à la grande santé Nietzschéenne qui chez lui est un échec permanent. Chez moi, elle fait écho à la lumière d’un soir d’été du confinement et au camélia humide du matin. Cloitré sous mes mansardes, je lisais toute la journée dans une liberté extatique. J’en ai oublié plusieurs fois de déjeuner. Je me sentais alors en pleine santé, mais tout cela a pris le caractère d’un éden qui se refuse à moi depuis.

VERSO

Pourquoi donc se souvient-on de ce genre de choses ?

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Suis-je uniquement animé de cette espèce de souvenirs ?

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Sous quelle étoile sommes-nous nés pour trouver en des choses insignifiantes tout un symbole ?

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On explique aisément le triomphe de la raison scientifique, mais il semble que la raison symbolique soit tout aussi triomphante. Symboliser serait presque un sens à part, le fait de fusionner des choses semblables selon certains caractères. J’irais presqu’à dire que le fait de délimiter quelque chose en catégories suffit à l’émergence du symbole… et pourtant, ce qui m’émeut n’est pas de l’ordre de l’unité.

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Pourquoi cette manie de faire des maximes de toute chose, elle-même n’étant qu’une sensation d’une scène que j’ai pu vivre ? Suis-je si empêtré dans un sang de moraliste français qu’il m’est obligatoire de tout récapituler en une formule peu heureuse ? Je pense pourtant m’exercer ainsi à la clarification sinon à la compréhension de ce que j’ai pu aimer dans le monde et en en retirant tout le moi j’espère peut-être y insuffler un symbole entendable.

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Impression d’être Sisyphe face à la quête de ce qui m’émeut. En fait, il s’agit de « Madame la Scène » et de « Monsieur le Symbole ».

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Madame.

Monsieur.

Je suis en vous.

Je vous invoque.

Voilà là seule chose que j’ai pu entendre de mes hôtes.

A propos de Arthur Mazeyrat

Étudiant en mathématiques appliquées à Angers puis Grenoble et maintenant Tours. Amoureux de la littérature, j'aime à remuer les textes. Ici pour explorer la technique auprès d'une communauté expérimentée.

2 commentaires à propos de “#rectoverso #04 | Carnets d’yeux”

  1. Bonjour Arthur,

    Je vous rencontre via ce texte et ce deuxième paragraphe tout en géométrie à la lumière variable de la lune. Je ressens un texte écrit dans ce que fonde de l’expérience de l’écoute dans le noir, à la lueur rouge d’une cigarette – en toute fin la voix qui interroge est troublante, le dialogue serait une réponse ? Ou poserait une question plus complexe encore ? J’aime ces textes qui mesurent et déstructurent dans un même mouvement. Bonne suite à vous,
    Cat S

    • Bonjour Catherine, oui, un dialogue entre ces choses que je rencontre à chaque souvenir qui m’est cher, choses qui semblent se connaître bien mieux que je ne les connais. Merci.