#rectoverso #05 | de l’autre côté de la clôture

RECTO

Fin des années 60, apprendre au tournant d’une conversation entre adultes la vente de la maison de Moissac a été un déchirement. C’était MA maison, celle qui m’avait recueillie lors de mon premier séjour en France après ma naissance. Je ne le savais pas encore, mais elle incarnait ce lien particulier avec mes origines que je découvrirai plus tard. Elle représentait mon refuse après notre retour du Maroc en 65. Ses murs me protégeaient, veillaient sur moi, je le sentais. Durant ma petite enfance, elle aura été source d’apaisement, de stabilité, de liberté. De ces fenêtres au premier étage, j’embrassais toute la campagne environnante, je me projetais, avec elle, dans l’avenir. Et puis, ma grand-mère émit le désir de revenir vivre au bord de l’eau, dans son pays. Le vent salin, les pins, la dune lui manquaient. C’était sans appel. Ainsi, mon grand-père abandonna une nouvelle fois sa terre natale, celle sur laquelle il avait posait ses valises après une vie de voyages et de longs séjours en terre africaine. J’étais silencieusement effondrée, mais à l’époque, on ne se préoccupait pas du ressenti des jeunes enfants. J’ai tout enfoui en moi avec un seul désir, un jour, y retourner, revoir MA maison.

VERSO

Fin des années 80, je ne me souviens plus vraiment de la date, j’ai pris la sortie d’autoroute à hauteur de Moissac avec en tête de retrouver la maison de mes grands-parents. La petite route après le pont à la sortie de la ville, plein Est, puis la campagne et cette route qui m’appelait jusqu’au virage dans lequel s’enroulait le parc de la propriété. Pour la première fois depuis des années, elle était devant moi et moi de l’autre côté de la clôture. Le portail d’entrée n’avait pas changé. Quelques aménagements extérieurs dénués de goût avaient été faits. Elle semblait sans vie.

Durant l’été 1989, j’ai tenté d’y repasser. Mais cette fois, malgré une aide à distance de mon grand-père, je ne l’ai pas retrouvé. Elle m’échappait, se terrait dans ses murs, sans doute ne souhaitait pas être reconnue. Je m’en voulais d’avoir échoué.

Ces dernières années, j’y suis retourné plusieurs fois. Les volets sont toujours fermés. Pourtant, la maison ne semble pas abandonnée. Il y a un nom sur la boîte aux lettres. Je n’ai jamais osé appuyer sur la sonnette ni demander à la maison d’à côté si elle était régulièrement habitée. Il semblerait que son propriétaire soit toujours celui qui l’a achetée. Je ne me sens pas encore prête à me renseigner au service de l’urbanisme de la Mairie. 

A propos de Dominique Estampes Paillard

Un jour, j’évoquerai l’ici et l’ailleurs de mon existence, j’écrirai ma fascination pour le silence des mots, je dénoncerai l’emprise de mes gènes sur les terres lointaines, je dévoilerai mon doute quotidien, j’évoquerai l’élégance de ma ville de « bord de l’eau » et encore plus mon coup de foudre pour NY, je partagerai ma passion pour l’image, la photographie, je rigolerai devant mes grains de folie, je révèlerai les nuits blanches à écrire, à lire, je dénoncerai le manque de souvenirs de ma ville natale, Casablanca, je ferai la liste de tout ce qui aurait dû, de tout ce qui aurait pu, mais encore plus de tout ce qui a été tout en me délectant du présent. Un jour, peut-être. https://unmondeauboutdurivage.com https://www.instagram.com/hoalen64/?hl=fr