#rectoverso #05| L’adieu aux furtifs

C’était à côté du café Rey, où parfois l’on s’offrait une grande crêpe à la crème de marrons préparée à la devanture. On y jetait un œil vague en traversant le faubourg pour se rendre au petit Franprix de la rue de la Roquette, curieuses de la clientèle plus que du cinéma lui-même, les hommes voulaient tellement être discrets qu’on ne voyait qu’eux glissant discrètement de la caisse à la salle, sortant de là les yeux battus ou planqués derrière un journal, avec leur gros air de comme si de rien. . Cette  sortie à la dérobée n’était pas sans rappeler d’autres furtifs, ceux qui embusqués dans les couloirs du métro ou derrière les bosquets des parcs sortaient de leur pantalon un sexe honteux de lui-même en synchronie avec leur regard  implorant…  Le Bastille passait exclusivement du X, les titres étaient plus que suggestifs « Charlotte mouille ta culotte » ou « Bouches dévoreuses». Il y avait concurrence sur le boulevard Richard-Lenoir où étaient programmés entre westerns et films série B des friandises comme « La plage des enculées » (toujours au féminin bien sûr). Ces deux trésors étaient la seule offre ciné dans ce quartier éminemment populaire. Ils avaient ouvert pendant la grande période du cinéma le Bastille Palace en 1933, et Radio cité Bastille, abrégé en Le Bastille, en 39. A l’époque il ne passait que des films d’actualité, à la fin de la guerre, des films d’action et des Westerns, le tournant du porno a eu lieu en 71, une photo d’archive sur Internet montre une clientèle jeune, joyeuse et nombreuse au sortir de ce cinéma. On devait y aller en bandes pour rigoler et s’exciter un peu…. Quand je l’ai connu, la clientèle avait les cheveux plus courts et était devenue furtive, encombrée du désir honteux et solitaire de l’immigré isolé ou du vieux célibataire frustré. Les titres étaient encore assez comiques. Pour le bonheur d’un autre genre de cinéphiles, Marin Karmitz a ouvert à deux pas de ces temples du X, sa première salle de cinéma, le 14 juillet, les salles y étaient ridiculement petites et les fauteuils rembourrés en noyaux de pêche, on entendait le métro pendant les séances mais la programmation justifiait le déplacement. 

Verso

Aujourd’hui, le Rey qui a longtemps tenu dans ce quartier en mutation a été il y a peu remplacé par le Milou, changement d’imaginaire éloquent. Le 14 juillet rebaptisé MK2 côté Beaumarchais, offre après des travaux tardifs des salles plus confortables et insonorisées, c’est évidemment plus conforme. Le Bastille s’est racheté une conduite dans les années 80. Comme pas mal de cinés pornos, il n’a pas survécu aux cassettes VHS que les amateurs sélectionnaient au fond des vidéos clubs sur le mode furtif d’abord avant que des couples décomplexés y fassent ouvertement leur choix. Après un long passage art et essai qui convenait mieux à la proximité du tout nouvel Opéra, il a été brutalement fermé par des huissiers en 2016. L’année suivante, MK2 le rachetait, et il est aujourd’hui le MK2 côté Saint Antoine ou l’on vend mixe films d’auteurs et grand-public. Le Bastille Palace est devenu le Majestic- Bastille, il a conservé sa façade art déco et ses grandes lettres rouges typique des cinémas de l’époque, il appartient désormais Aux écrans de Paris et s’est spécialisé dans le film d’auteurs. La gentrification du quartier est bien établie. 

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement, beaucoup plus sérieusement depuis la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

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