
Est-ce que c’est la bonne adresse ? la question entière vu l’autour, la dégradation, l’inhabitable supposée.
Les yeux septiques observent. Les quatre premiers étages sont murés. Autour l’immeuble, à ses pieds, des matelas, des meubles, des poubelles, jetées par les fenêtres. Un tas d’ordure, monceau, montagne, déchetterie improvisée comme jeté des étages, comme débarrassage, comme déménagement express non pris en charge par l’insalubre lieu. Alors débrouillez-vous, alors jetez. On s’en va et recommence ailleurs.
Est-ce la bonne adresse ?
Un petit garçon entre et chasse le doute. Il traine derrière lui un sac de riz, un sac de riz qui fait presque sa taille. Le sac traine au sol. Il est trop lourd trop grand trop. Le sac est en tissu plastique blanc cousu, il n’a pas de poignée alors le petit garçon tire ou il peut comme il peut.
Si du riz à cuire entre avec un petit garçon l’endroit est encore habité. N’est-ce pas ? C’est donc surement la bonne adresse.
Les yeux se demandent : On laisse des gens vivre là ? Vraiment ? et On n’a pas honte manifestement. Je à honte pour On.
Les yeux observent les boites aux lettres trouvent l’étage montent dans l’ascenseur.
Le petit garçon arrive près de l’ascenseur. Etonnamment l’ascenseur fonctionne. Peut-être parce qu’il n’y a quasiment plus d’habitants. Derniers résistants ou juste absence de relogements ? Encore une question pour On et son absence de honte, son absence tout court. On ne voit rien, il n’est pas véritablement là On. Il prend les décisions et vaille.
En plein centre de l’ascenseur une flaque, une mare, de l’urine ça sent l’urine. De chien ou d’humain ? Mais c’est de l’urine, l’odeur ne ment pas. On ne voit rien.
Les yeux voient le petit garçon et son sac trainé dans l’ascenseur plein d’urine, le sac dans l’urine, le sac dans l’appartement, l’urine dans l’appartement, l’appartement qui n’est pas encore muré, le petit garçon vit dans un immeuble détritus et sera peut être relogé dans un autre immeuble détritus. On décidera. On n’aura pas vu l’urine, ne comprend pas l’urine, n’imagine pas l’urine. On ne vit pas l’urine mais décide l’urine à distance.
Plus tard l’immeuble tombera, On déblayera, On reconstruira selon un plan d’architecte, le même genre de plan ayant soigné les grands ensembles, les grands ensembles qui tombent sous dynamites. Les plans sont beaux et propres. Ils ont du vert et des enfants qui rient. Le béton ne se voit presque pas sur les plans. On décide les plans, On valide les plans. Et hop ça recommence. Un peu moins sale, un peu moins de familles ou pas, selon l’endroit. Ici ce sera des familles. Ici c’est la Seine Saint Denis, dans un quartier dit défavorisé, les entreprises ne s’installent pas. On fait semblant de reconstruire grand blanc, sans taches, avec des arbres et des parcs à jeux pour les enfants. On se dit que ce sera bien pour les enfants. Dans le nouvel immeuble plus court et neuf, l’ascenseur ne marche pas une semaine sur deux. L’urine est dans les cages d’escaliers ou les enfants trainent les sacs de riz trop grands pour eux. Les enfants sont interchangeables pour On. Potati Potato un enfant est un enfant et l’urine n’a pas de couleur, la misère non plus.
Les yeux de Je se disent qu’on ne change pas un quartier avec de belles poubelles. Il faut bien plus que cela mais On ne le sait pas parce qu’On ne regarde pas, On ne comprend pas, On n’imagine pas. On devrait peut-être monter parfois dans l’ascenseur aux flaques d’urine.
Je sait qu’il y a bien trop de On sans honte et de petits garçons aux sacs trop lourds.
Le dire ne changera surement pas les On ni les Je mais peut être que c’est déjà ça.
Une belle lecture à voix haute qui apporte beaucoup au texte. J’ai aimé écouter, j’ai aimé mieux comprendre. Merci.
Merci Émilie. Alors et vous l audio?
Merci pour ce texte que j’ai écouté en même temps que lu. Je suis touchée par ce texte qui me fait penser à ce que François a dit dans #02 de la littérature politique. J’aime beaucoup l’emploi du on et du je qui sert si bien le propos.
Merci Louise. Je crois que je ne sais pas écrire apolitique!
On ne le sait pas parce qu’On ne regarde pas, On ne comprend pas, On n’imagine pas. On devrait peut-être monter parfois dans l’ascenseur aux flaques d’urine.
Votre texte est tellement fort, realiste et si bien ecrit avec le Je et du On en miroir Merci pour votre voix qui accompagne votre ecrit.
Bonne journee
Merci de votre lecture et commentaire Je trouve étonnant ce récit que Je a fabriqué un peu différent et même temps similaires à ce que Je écrit d habitude. 😉
Merci pour cette lecture à voix haute, qui donne encore plus d ‘intentions au texte qui ,en soi, est très impliqué et impliquant .Travail sur le « je » et le « on » et les répétitions très efficace…
Merci Carole. Il me sort un peu de ma zone tout en étant issu de ma langue quand même.
Belle lecture sur ces vagues d’indignation… merci pour cette sonorité du on dans honte, si juste à rythmer l’injustice… merci pour ce texte
Encore une fois merci d’être là et pour la force de l’antagonisme JE/ON. Rien n’arrête ta langue ni ta voix
Ahah je ne sais pas si rien ne m’arrete mais je tente de résister comme peu…:)
Très beau Très puissant. Saisissant le Je et le On. Merci
Merci Louise de me lire !:)
Oui tout à fait d’accord avec Cécile. Et ta voix qui sculpte ces « on ». Et oui ô combien politique ton écriture. « Les yeux » aussi deviennent personnage à part entière. Ça me fait penser à un conte, mais avec du réel bien sonnant et trébuchant.
Je crois que je ne sais pas faire autrement que politique. Je crois que tout est politique! 🙂
Je a honte pour On. Merci Jen pour ce On que tu décris avec justesse. Ton texte montre bien le caractère implacable face à la vulnérabilité.
Mes restes vivaces d’educ à domicile. Beaucoup trop de honte pour ne pas la dire.
Jen, je viens juste de lire ce texte qui fonctionne très bien. Il peut être décliné à des tas de lieux. Et comme il le suggère, tant qu’il y a de l’urine, il y a des enfants qui vivent. Je ne sais pas pourquoi (ce n’est pas le même type de lieu) mais j’ai pensé à ce que raconte Sabine Huynh dans son très beau livre Elvis à la radio, sur l’appartement de son enfance, une fois la famille arrivée en France. Ce n’est pas aussi sordide mais il y a quelque chose des vies de ceux qu’on ne voit pas auxquelles m’a conduit ton texte.
Merci Philippe de me lire et de me rappeller Elvis à la radio qui est dans ma longue longue pile à lire. Je vais le remettre par dessus!;)