#rectoverso #05 | N’a d’horreur que le souvenir

RECTO

En extrémité d’une petite commune de Vendée, il y a deux longs murs blancs de 3 mètres de haut qui s’imbriquent en un angle droit. Avec une autre maison, ils délimitent un espace assez grand où on aperçoit le toit d’une maison derrière trois cyprès, deux eucalyptus et un gros chêne. Un portail blanc tout aussi haut que les murs bloque la vue, un dispositif permet d’alerter les hôtes d’arrivants par une sonnerie stridente. Je m’approche et j’attends en regardant les écailles d’eucalyptus se détacher du tronc en des plaies de couleur chair. Le portail s’ouvre lentement, on voit un tapis de gravier rose s’enfoncer jusqu’au porche où stationnent deux voitures.

Je pénètre sur le terrain, à gauche se trouve un gros buisson de laurier et une pelouse, le chêne y trône en majesté en plein milieu. Une piscine se trouve au bord du mur de façade, couvert de crépi blanc et aux volets verts foncés. La porte de la véranda glisse, ma grand-mère me salue au loin. Je m’enfonce dans la maison, on y trouve un superbe salon très lumineux adossé à une arrière-cuisine plutôt sombre qui donne sur le jardin du fond. Un long couloir s’étire jusqu’à une salle de bain dont les côtes touchent les chambres, le bureau ainsi qu’une petite porte sur un genre de minuscule garage où l’on peut emprunter un escalier en métal couvert de peinture blanche qui s’écaille.

Cet escalier me terrifiait étant petit, car lors de la montée, il faisait tout à fait noir et on n’apercevait quelques recoins de murs et de plafonds qui étaient couverts de toiles d’araignée. On émergeait du sol dans l’ancienne chambre de ma tante, où l’on goutait à une atmosphère propice aux rêves. Une petit fenêtre ronde en face d’un bureau en bois nous éclairait la face. Une autre porte mystérieuse s’élevait au niveau du mur du fond.

Lorsqu’on l’ouvre, on ne voit rien : La lumière ne marche plus. Je m’étais saisi d’une lampe torche et avais appuyé sur le bouton caoutchouteux : Une face de renard empaillé, gueule ouverte se trouvait à cinq centimètres de mon visage. La terreur fut assez rude. Je n’y remis jamais les pieds.

Une telle rencontre nous invite naturellement à redescendre l’escalier, et cette fois nous sortons dans le jardin de derrière. Une pelouse grillée s’élance jusqu’à une rangée d’une dizaine de cyprès. Au milieu, une petite fontaine asséchée. Pour traverser cette pelouse, on emprunte des dalles de béton mélangé à des galets blancs. Ils font le tour de la fontaine et on peut alors pénétrer derrière la rangée de cyprès.

Une mare s’étend de long en large, avec un pont d’acier qui va de bord en bord. Ce lieu m’a toujours donné l’impression d’un genre de secret familial en lien avec de la sorcellerie. Je ne saurais expliquer pourquoi. Je restais longtemps en plein milieu, survolant une eau noire et stagnante. J’entendais toujours dire que ce pont pouvait céder et je m’imaginais alors tomber dans ce vase au bords couverts de cyprès et de gazon brûlé et m’embourber dans une mélasse inamovible. Peut-être y avait-il d’autres enfants au fond de cette mare.

En retournant au devant des cyprès, sur ce gazon brûlé, on apercevait une espèce de cheminée en béton émergeant du sol. En s’approchant, on tombait alors sur une porte de métal collée au sol. Il s’y trouvait aussi un lieu terrifiant. J’aurais du mal à vous dire autre chose que ceci : Un jour tout gris, j’explorais une énième fois de jardin et tombait sur ces mêmes portes sépulcrales. Elles étaient ouvertes. J’étais tétanisé de voir une échelle s’enfoncer dans un puit de mort. Je m’approchais avec précaution, craignant de tomber dans ce gouffre inconnu. L’échelle s’enfonçait dans une tour de béton aux parois maculées de toiles d’araignée jusqu’à l’infini noir. Du fond du trou plein de ténèbres se détachait, je crois, un visage muet.

VERSO

En extrémité d’une petite commune de Vendée, il y a deux longs murs blancs de 3 mètres de haut qui s’imbriquent en un angle droit. Avec une autre maison, ils délimitent un espace assez grand où on aperçoit le toit d’une maison derrière trois cyprès, deux eucalyptus et un gros chêne. Un portail blanc tout aussi haut que les murs bloque la vue, un dispositif permet d’alerter les hôtes d’arrivants par une sonnerie stridente. Je m’approche et j’attends en regardant les écailles d’eucalyptus se détacher du tronc en des plaies de couleur chair.

Rien ne se produit, la maison est vide, le portail s’est refermé il y a 5 ans sur cette maison aux noirceurs muettes. On aperçoit encore la petite fenêtre ronde aux reflets fantomatiques. N’a d’horreur que le souvenir.

A propos de Arthur Mazeyrat

Étudiant en mathématiques appliquées à Angers puis Grenoble et maintenant Tours. Amoureux de la littérature, j'aime à remuer les textes. Ici pour explorer la technique auprès d'une communauté expérimentée.

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