Ça me fatigue de toujours devoir trouver un pieu. Là, ça va. Je suis tranquille pour quinze jours. Je vais pouvoir écrire. Mais il fait chaud dans cet appart. Check tes emails hija de la Pachamama, il faut que tu répondes aussi, faut pas trop que ça traine, après tu ne peux plus écrire. Et quand j’ai fini les emails, je fais ma revue de presse internationale. Je ferai le blog ce soir. Je ne sais pas où je vais aller me poser, fait vraiment trop chaud ici. Pas envie d’aller au café cette après-midi, elles sont sympa mais elles posent toujours des questions. Je me fatigue. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit oui pour ce papier. J’ai les données mais j’ai pas envie. Hier, en traduisant, je me suis dit que « mamá », est un mot que je n’ai jamais prononcé, en m’adressant à quelqu’un je veux dire. Mamá n’existe pas pour moi. Et pourtant elle existe. C’est grâce à elle que je suis là, ici, en France, à écrire en français, à parler français, à penser en français, à compter en français. Je peux reprendre le fil depuis qu’elle est partie en me mettant au monde à la Paz, Bolivie, elle, la fille d’El Alto, la pute rebelle mise au pas. Mamá, c’est toi Mamá? C’est toi que j’entends parfois quand j’écris? Je ne connais pas ta voix, je ne l’ai pas entendue, jamais ou alors filtrée, une vibration qui me traversait. Ton dernier cri s’est mêlé à mon tout premier. Sur le blog, j’ai une tonne de commentaires. J’aurais pas du aller sur le blog, j’avais dit ce soir le blog. J’ai pas que ça à foutre bébé. L’article sur l’assassinat de Géraldine a fait parler. À chaque fois qu’il est question de trans’, c’est pareil. La haine et la colère s’invitent. Là, les commentaires sont plutôt des témoignages, nombreux, solidaires, émouvants. Une Ana me dit qu’elle connaissait bien Géraldine. Elle la connaissait déjà à Lima quand elle avait dix ans. Géraldine la trans péruvienne. Le prénom qu’elle a choisi pour vivre sa vie, fallait le trouver. Je me choisirais quoi, moi, comme prénom si je devais prendre un prénom français? Ana me raconte comme ça a été dur pour Géraldine, depuis gamine. Moqueries, humiliations, bastonnades. Je ne sais pas où je vais aller dans quinze jours. Je prendrai un hôtel, peut-être dans le sud, j’en ai marre de Paris. Elle était si heureuse Ana quand Géraldine a pu la rejoindre à Paris. Géraldine était si heureuse que tout le monde l’appelle Géraldine, ici. Faut que je fasse un papier sur ça. Sur ce que ça laisse la mort d’une trans. Sur ce que ça veut dire de pouvoir s’appeler Géraldine, de choisir ce prénom-là. La mort d’une trans, c’est une ligne dans le journal, un court article sur le rassemblement qui suit son assassinat, et puis après, un nom sur une liste? Mais la mort d’une trans, c’est la mort, c’est la mort, c’est la mort, c’est la mort d’un enfant. Faut que je travaille ça, cette haine, cet effacement. Ana me dit que Géraldine flotte partout, elle entend sa voix. Mamá? C’est toi Mamá? J’ai parcouru la presse. On ne sait rien sur Géraldine. Raison de plus pour faire un papier sur elle. Hommage à G. Raconter sa vie. Rappeler sa vie, la vie de Géraldine, migrante et travailleuse du sexe, assassinée par un mec de 22 ans, parce qu’elle était trans, tuée pour ce qu’elle était, pour celle qu’elle était. Là, c’est un peu facile, faudrait que je travaille le truc, pas tomber dans la facilité. Je pourrais envoyer 4-5 feuillets à Médiapart. J’en sais rien si Médiapart prend des feuillets. Et surtout, ils les payent combien? Faudrait que je trouve un magazine qui paie un peu. Je me connais, ça va me prendre des plombes, je pourrais faire un bouquin et à l’arrivée, je ponds trois feuillets, j’empoche 150 balles et je peux aller me payer un café. Notes pour moi: suivre le Trans Murder Monitoring, éviter les comptes transphobes, ça me met en colère, j’en ai déjà assez de colère, depuis que Mamá m’a laissé là. Géraldine, travailleuse du sexe, comme toi Mamá. Je suis une vrai fille de pute. Je pourrai sortir un bouquin, Ta mère, ma vie!. Faut que j’avance sur mon papier de fond sur l’Amazonie aussi. Partir d’ici, pour les lecteurs français et les conduire en Amazonie, et à la fonte des glaciers boliviens. Ah merde, faut que je corrige les épreuves pour les trads. J’avais promis pour ce soir. Je m’y mets. J’arrête de glander. Je te promets, Géraldine, je ne t’oublie pas, je vais bien m’occuper de toi ma belle. La voix d’Ana qui me parle de Géraldine me plombe. Je n’ai jamais entendu sa voix mais quand je lis son long commentaire, j’en entends une, et j’entends la voix de Géraldine qui lui répond, une voix avec un accent Péruvien. Comme toi, Mamá, j’entends ta voix. J’entends vos voix. Faudrait arrêter de parler des fois les morts, hein? On s’entend plus écrire.

Que donnent de la voix toutes les Géraldine, mortes assassinées au cœur du bois!
Merci pour ce beau texte.
Et qu’elles soient entendues
beau, grave et puissant (dit-il pour savoir si tu es prévenu du commentaire par mail ?)
Bien reçu François
Ici et par mail
Merci