Je viens dans ce jardin parfois le soir quand je ne sais plus quoi faire, je m’assois d’abord sur une pierre. Il n’y vient presque jamais personne, j’aime le silence, les fleurs qui poussent libres dans les allées et, quand il pleut, la lumière sur les dalles. J’y vais sans rien, je sais qu’on n’aimerait pas m’y voir avec un ballon ou n’importe quelle balle, ni même un pistolet à eau. Je viens seul. J’écoute derrière le silence. Je reste souvent assis sur la même pierre au ras du sol, les jambes dans l’herbe quand c’est humide. Je lis avec les doigts sur la pierre creusée : celui qui aura confessé devant les hommes je le confesserai devant mon Père qui est dans les Cieux. Je reste caché derrière le mur, on ne peut pas me voir. Ma grand-mère sait que je suis là, c’est elle qui m’a conduit devant les tombes, devant celle de son grand-père Maurice, et de sa mère Louise – ci-gît le corps – et de sa grand-mère paternelle Jeanne-Marie – ici repose. J’attends, c’est comme veiller les morts, c’est comme autrefois les nuits passées auprès des corps. On veille, comme s’ils pouvaient partir. Je veille – priez pour eux. Je m’allonge sur la pierre sans bouger, c’est comme si. Je ferme les yeux, le monde tout autour s’éteint, on dirait que. Je plonge au-delà du silence, comme si j’étais avec eux maintenant. J’attends avec eux, je n’ai plus d’âge moi aussi, que celui de cet éternel présent désormais. J’attends – c’est écrit – le Père, les Cieux, la résurrection. Je gis, je repose, dans les regrets, dans les prières. Imagine.
Je ne regarde pas le nom de Louise en sortant du cimetière, je sais qu’elle est là. Elle est aussi dans la chambre, au-dessus de mon lit, elle me regarde dormir. J’entends ce qu’elle pourrait me dire, elle demanderait si j’ai soigné les brebis, si j’ai rentré le foin avant qu’il ne soit humide, si j’ai gardé le beurre au frais, comme si moi aussi. Quand je ferme les yeux, elle garde les siens ouverts, comme si les morts. Je n’ose pas lui demander pour la grippe, ma grand-mère n’en parle jamais, elle avait treize ans. Mon âge aujourd’hui. Je n’imagine pas la grippe qui tue, je n’imagine pas le deuil enfant. Alors je la vois au milieu des prés en été marcher sur un chemin. Arrêtée dans cette image, elle me sourit. Si j’ouvre les yeux, elle sera encore là. Je pense à l’histoire du chat. Un chat enfermé dans une boîte avec un flacon de gaz mortel susceptible d’être brisé pourrait se trouver mort ou vivant à l’ouverture de la boîte. Un grand scientifique de la physique quantique nous oblige à penser les états superposés. Le chat est mort et il est vivant, c’est une question de probabilité. Je ne crois pas aux fantômes, je ne crois pas à la résurrection, je ne prie pas les morts, je ne les regrette pas. Mais je sais ce qui reste vivant.
Émouvant et très beau
Magnifique, surtout la seconde partie, Louise, sa présence, les souvenirs.
Merci pour votre commentaire sur ce texte, grâce à une proposition très inspirante.