#rectoverso #06 | quelle triste affaire

RECTO

Sur le devant de la façade du 17 rue du temps qui passe, une pancarte « À vendre ». Ma montre affiche 10 heures 08. J’attends. J’attends un couple de trentenaires en retard au rendez-vous fixé la veille. Des mots me reviennent à la mémoire, envie de se fixerstabilité de vietélétravailadopter un chienvie sédentairesécurité, etc. Je ne rêve que d’ailleurs. Partir… Partir loin, m’évader, me fondre dans un espace infini et tracer ma route. Un jour, j’irai me perdre dans ces contrées lointaines qui me fascinent tant. Bonjour madame, je me retourne, excusez-nousla maîtrise du temps… c’est pas notre qualité première. Grincement du portail, instabilité des dalles de l’allée, invasion d’herbes sauvage sur le perron. À l’ouverture de la porte d’entrée, une odeur de renfermé surprend nos narines. Je cours ouvrir les fenêtres. Faire entrer la lumière du jour, les bruits du dehors, les essences inconnues du jardin. Le jeune couple déambule de pièce en pièce, chuchote, lève les yeux au plafond, caresse les moulures, s’attarde dans la cuisine. Il y a pas mal de travaux de rénovation à faire. J’estime d’un coup d’œil le montant. Front plissé, ils tournent les talons. J’entends l’escalier craquer, leurs pas sur plancher à restaurer. Je referme la porte. Retour à l’agence, signature du compromis de vente, rendez-vous pris chez le notaire. Mes rêves d’ailleurs ne m’ont toujours pas lâchée.

VERSO

Sept ans plus tard, rue du temps qui passe, numéro 17. Une pancarte « À vendre ». Remonte alors un souvenir lointain, mes derniers clients. Ce couple de trentenaires, leur inquiétude quant aux travaux de rénovation, leur sourire timide à la signature. La façade de la maison ressemble à celle qui me revient en mémoire, ou presque, quelque chose semble avoir changé, je n’arrive pas à saisir ce qui me perturbe. Des travaux de rénovation étaient pourtant prévus. Sans doute avaient-ils sous-estimé l’ampleur du chantier, La voisine d’à côté sort de chez elle, me salue. Vous cherchez, les propriétaires ?Quelle triste affaire ! Et, sans attendre une réponse de ma part, elle rentre chez elle. Un frisson court dans mon dos. Tenter d’ouvrir le portail, il cède. Le même grincement des dalles dans l’allée. Sur la porte, un arrêté jauni et déchiré d’une mise sous scellés. Pourtant, la porte d’entrée est entrebâillée, je rentre. 

A propos de Dominique Estampes Paillard

Un jour, j’évoquerai l’ici et l’ailleurs de mon existence, j’écrirai ma fascination pour le silence des mots, je dénoncerai l’emprise de mes gènes sur les terres lointaines, je dévoilerai mon doute quotidien, j’évoquerai l’élégance de ma ville de « bord de l’eau » et encore plus mon coup de foudre pour NY, je partagerai ma passion pour l’image, la photographie, je rigolerai devant mes grains de folie, je révèlerai les nuits blanches à écrire, à lire, je dénoncerai le manque de souvenirs de ma ville natale, Casablanca, je ferai la liste de tout ce qui aurait dû, de tout ce qui aurait pu, mais encore plus de tout ce qui a été tout en me délectant du présent. Un jour, peut-être. https://unmondeauboutdurivage.com https://www.instagram.com/hoalen64/?hl=fr

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