#rectoverso #07 / la nuit et la blouse

Recto

le fait que le micro-onde se soit allumé dans la nuit, certes je n’étais pas là mais Sabrina me l’a dit d’une voix rieuse comme si elle essayait de se rassurer mais le fait que Sabrina n’était pas rassurée, que le micro-onde se soit allumé dans la nuit sans qu’il n’y ai personne pour l’enclencher, une minute, le fait qu’il se soit allumé juste pour une minute, à trois heures, le fait que quand Sabrina me le raconte je sens ce souffle dans mon échine, le fait que ça m’évoque ma prise qui a pris feu, le fait qu’il était également trois heures du matin, que je suis arrivée dans la cuisine pour prendre un verre d’eau et que la prise s’est enflammé, le fait que les flammes ne touchaient rien que le vide, juste le temps que je les vois et se sont arrếtés tout aussi soudainement, le fait que l’électricien m’ait dit qu’il me trouvait jolie, que l’électricien m’ait dit que dans sa famille on faisait du gri-gri, le fait qu’un électricien n’est pas censé dire ces choses là, le fait qu’un soir je savais bien, je savais très bien qu’il y avait quelqu’un dans l’entrée, qu’il y avait une femme qui téléphonait, que je savais très bien qui était cette femme, qu’elle savait que je le savais, le fait que l’appartement était fermé, le fait que je n’ai pas de téléphone, je ne préfère pas y penser au fait que je n’ai pas de téléphone, le fait que la porte de l’appartement était grande ouverte, le fait qu’il n’y avait personne dans l’immeuble, le fait que je ne retrouve plus certains objets, le fait que je ne retrouve plus le petit talisman, que je passe la poussière sur le meuble de l’entrée, là où il n’y a pas le téléphone et où je ne peux pas appeler Sabrina pour lui dire de débrancher son micro-onde et qu’il n’y a pas le talisman à sa place habituelle, le fait que mes cheveux tombent de leur pince comme si quelque chose les détachait, le fait que Sabrina a toujours les cheveux qui tirent, non pas tirés, mais qui tirent, le fait que je passe le balai à l’envers et que je ramasse des cheveux brillants et que dans la cuisine je marche sur une petite matière et que c’est le talisman, le fait qu’il soit chaud, le fait que l’électricien m’a laissé son numéro, le fait que ça m’apprendra à dire quand je ne suis pas assez forte pour me défendre face à certains hommes fais ce que tu veux mais sache que le fait est que je suis une sorcière.

Verso

Marguerite, elle avait dans une vitrine des petits animaux en bois venus de pays d’Afrique, le fait que Marguerite ne soit jamais allée en Afrique, mais à cette époque alors sûrement la France allait en Afrique, le fait qu’elle avait une forte poitrine qui sentait le beurre salé, le fait que sa robe était une blouse à fleurs sous laquelle se cachait ses véritables vêtements que je n’ai jamais vu, le fait que Marguerite était une vieille dame qui riait fort devant son eau-de-vie, le fait qu’on me parlait toujours de Marguerite comme de la dame qui allait me faire des maddefins, le fait que Marguerite faisait effectivement des maddefins, le fait que Marguerite me disait que j’étais jolie et que je voulais qu’on me dise que j’étais jolie, que je n’avais pas les yeux de la famille mais que j’en avais le rire, le fait que dans le salon chez ma mère il y avait une photo de Marguerite il y a vingt ans et qu’elle portait cette même blouse et ce même rire mais avec un gros collier de perles, que ce collier détonnait, que je voulais ce collier, le fait que chez ma grand-mère il y avait dans la descente d’escalier une photo de Marguerite il y a quarante ans et qu’elle portait la même blouse et le même rire mais pas le collier, le fait que Marguerite a tué le chien du voisin en l’aspergeant de désinfectant, le fait que tout le monde riait de cette anecdote terrible et que je sentais qu’il me manquait un morceau, le fait que le voisin a demandé Marguerite en mariage, le fait que c’était le morceau qu’il manquait ?, le fait que j’aurai aimé connaître Marguerite, le fait que je suis la seule à qui l’on a dit que Marguerite, sa blouse et ses maddefins aurait eu un amant…

A propos de Léa Yasmine Djenadi

Psychologue. Métisse. J'aime aussi lire dans des langues que je ne parle pas. En création d'une newsletter... (comme tout le monde, non ?)

2 commentaires à propos de “#rectoverso #07 / la nuit et la blouse”

  1. Beaucoup aimé votre texte ! Le tourbillon du recto, se lit d’une traîte, on est pris par le suspens, renforcé par l’écriture en une seule phrase ponctuée de virgule. Et Marguerite quel beau personnage. Merci !

    • Merci pour ce commentaire ! J’ai eu des difficultés à écrire d’une traîte sans me perdre alors il est plaisant de voir que ça fonctionne !