Le fait que les cousins s’en vont, le fait qu’elle les raccompagne, le fait qu’elle n’aime pas s’éloigner, le fait qu’ils habitent à l’étage, le fait qu’il est resté là-haut, le fait qu’il faut le temps de descendre, de les raccompagner, le fait qu’elle n’aime pas ça, qu’elle a toujours cette angoisse, le fait qu’elle ne le lui dit pas, le fait qu‘ils n’en parlent pas, le fait qu’elle se souvient, le fait que sa fille non plus ne dit rien, le fait que plus jamais on n’en a fait mention, le fait qu’elle ne pense qu’à ça, le fait qu’elle craint à chaque instant, le fait qu’elle se dit que pas maintenant, le fait que les cousins sont là, le fait qu’il a eu l’air content de les voir, le temps qu’ils se disent que ce sera peut-être le dernière fois, le temps qu’elle voie dans son regard, qu’elle voie ce dont ils ne parlent pas, le fait qu’elle se dit que s’ils n’en parlent pas peut-être que ça n’existe pas, peut-être qu’il a oublié, renoncé, peut-être qu’elle imagine, peut-être qu’il accepte, peut-être qu’il supporte, peut-être qu’elle se trompe, elle veut y croire, peut-être qu’il ne veut pas, le fait qu’elle ne sait pas, le fait qu’il ne doit pas pouvoir, que ça doit pas être possible, le fait qu’elle fait tout pour que ça ne soit pas possible, le fait qu’elle veille, le fait qu’elle a peur de s’éloigner, le fait qu’elle a hâte qu’ils partent les cousins, le fait qu’elle a hâte de remonter l’escalier, de vérifier, le fait qu’elle se dise qu’elle exagère, qu’elle a le doit de souffler, qu’elle affabule, qu’elle s’inquiète exagérément, le fait qu’elle sait au fond d’elle qu’il n’a pas oublié, qu’il ne pense qu’à ça, qu’il est à l’affut, le fait qu’elle se dit que dans son état il ne peut pas, n’a pas la force, n’a pas les moyens, n’a rien pour ça, le fait qu’elle ne sait pas au fond, le fait qu’ils n’en parlent pas, le fait qu’en parler ce serait peut-être lui en donner l’idée, le fait qu’en parler ce serait y donner une réalité, une réalité à ce qui n’est que son angoisse à elle, qu’elle imagine peut-être, dont elle n’ose pas parler non plus avec ses filles, avec celle surtout à qui il avait demandé de l’aide, elle était gamine, elle avait craqué, lui en avait parlé à elle, elle qui l’avait empêchée, mais il avait voulu, avait demandé à sa fille de l’aider, l’aider, tu parles d’une aide, comment a-t-il pu lui demander ça, sûr qu’il ne les supportait plus les coups de burin, le bruit sourd des coups de burins sur sa jambe, sur son os, dans tout son corps ça résonnait, on a beau t’anesthésier, il y a tout qui vibrait, chaque jour, course de vitesse, le fait est qu’il fallait l’empêcher la gangrène qui gagnait, le fait est qu’elle a pas gagné, qu’on l’a arrêtée, qu’il a remarché, le fait est qu’on ne l’a pas écouté, le fait est que sa fille ne le lui a pas apporté le fusil qu’il lui demandait, le fait est qu’ils n’en ont plus parlé, le fait est que c’était il y a longtemps, le fait est qu’il a peut-être oublié, peut-être regretté, le fait est qu’heureusement qu’il ne l’a pas fait, le fait est qu’elle espère qu’il a compris, qu’il a compris que ça aurait été une mauvaise idée, le fait est que ce n’est pas la gangrène, le fait est qu’il le sait, le fait est qu’elle le sait, le fait est qu’elle a hâte qu’elle se taise la cousine, qu’elle monte dans sa voiture, le fait est est qu’elle sourit, qu’elle remonte dans une seconde, qu’ils vont partir, le fait est qu’elle a peur, que peut-être il pourrait en profiter, le fait est qu’elle a peur quand elle va aux cabinets, quand elle va dans la cuisine, le fait est qu’elle ne le quitte jamais des yeux, mais il faut bien se laver, aller aux cabinets, le fait est qu’elle attend qu’il y ait quelqu’un, le fait est que parfois ce n’est pas possible, le fait est qu’il a bien fallu descendre pour leur ouvrir la porte, le fait est qu’elle leur dit au revoir, le fait est qu’il sont sur le seuil de la porte, le fait est qu’elle a l’oreille tendue, le fait est qu’elle écoute pour vérifier qu’il ne bouge pas là-haut, au premier, le fait est qu’il est dans leur chambre, le fait est qu’il ne peut pas faite grand chose, le fait est qu’elle en a pour une seconde pour remonter, pour que l’angoisse retombe, cette angoisse-là, que l’autre est là, celle qui ne part pas, parce que l’issue elle la sait, l’issue il la sait, qu’ils n’en parlent pas non plus, qu’ils ne parlent pas, qu’ils savent, le fait est qu’il est têtu, le fait est qu’elle le connaît, le fait est qu’elle leur ouvre la porte, qu’ils s’éloignent. Un bruit. Elle a compris.
Très réussi ! Bravo.
(brrr…)
Merci Émilie et Piero d’être passés.
Ce texte est très fort , pour nous lecteurs, les mots restent au bord d un précipice , un drame qui couve , qui ne se dit pas … très réussi en effet .
Merci Carole. Les propositions poussent…
Le verso poussera comme les propositions et les lentilles dans le coton. Faut se faire confiance.