#rectoverso #08 | soeurs

Je me souviens après l’école on nous envoyait ramasser des fagots au-dessus du village. Ma sœur ne disait rien, on y allait ensemble. On les portait sur la tête et, quand un fagot tombait, il fallait récupérer chaque branche de noisetier éparpillée. Ce n’est pas un bon souvenir. Adulte, j’ai brûlé le râteau et la fourche.

Ma mère préparait du pastet, ma sœur aimait beaucoup. Moi, je n’aimais pas ça. On tournait à tour de rôle la grande cuiller en bois dans la farine de sarrasin pour la mélanger avec l’eau jusqu’à ce qu’une grosse boule se forme. On mangeait cette pâte en faisant un trou dans lequel on mettait du miel et du beurre. Mon grand-père, lui, faisait fondre du lard, il devait avoir un bon foie. Ma sœur le regardait faire, moi je n’aimais pas ça. Il n’a jamais été malade. Il n’y avait pas de cholestérol à l’époque.

Presque tous nos vêtements étaient fabriqués à la maison, même les culottes. Ma mère les tricotait avec de la laine des chèvres ; ça piquait. Ma sœur ne disait rien. Moi, je m’échappais toute nue.

J’ai toujours eu des vaches et des chèvres. Quand il y avait une naissance, la nuit, c’est moi que ma mère réveillait. Il fallait veiller la vache ou la chèvre, aider le petit à téter. Aujourd’hui, je ne peux plus dormir la nuit, c’est à cause de ces réveils quand j’étais enfant. Je marche dans la maison, le sommeil me fuit. J’ai gardé les bêtes aussi longtemps que j’ai pu. Un jour, il a fallu les vendre.

Elle a brûlé le râteau et la fourche à cause des fagots, à cause du foin aussi. C’était trop dur comme travail, on était trop jeune. Elle était la plus petite, elle pleurait quand le fagot tombait et qu’il fallait tout ramasser.

On cultivait surtout du sarrasin, il n’y a que ça qui pousse bien sur le granit. On mangeait souvent le pastet à base de cette farine. Ma mère disait j’ai préparé le pastet aujourd’hui et ma sœur pleurait à l’avance, elle disait moi je l’aime pas. Pourtant avec du beurre et du miel c’était bon. J’aurais aimé goûter avec du lard, comme le grand-père. Mais, pour les enfants, c’était le miel, on le grattait directement sur la ruche qu’on avait dans la maison.

J’ai appris très jeune à rouler les pelotes avec le poil de chèvre, j’aimais bien le contact de la laine sous les doigts. On tricotait nos propres vêtements. Ma sœur pleurait quand on lui tendait les siens, elle disait ça pique sur la peau. Elle s’enfuyait et on ne pouvait pas la rattraper.

C’est ma sœur qui prenait soin des bêtes le plus souvent, qui conduisait le troupeau de chèvres, qui veillait les vaches, qui les aidait à mettre bas. Moi, je suis partie vite. Elle, maman l’a retenue. Elle est restée mais elle disait que c’était dur, qu’elle ne pouvait plus s’occuper des bêtes. Quand maman est morte, elle est partie travailler pour la colonie de vacances dans le village. Elle faisait le ménage, puis la cuisine. Toutes les bêtes ont été vendues. Elle a pleuré.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.