#rectoverso #09 | ici, là-bas et si loin

Là. Assise sur une chaise légère avec accoudoirs, dire fauteuil serait sans doute erroné, une tasse de café entre les doigts. Dans la véranda. Face au dehors qui continue de vivre sur la rue, la voie ferrée, l’autoroute, le ciel. Au cœur des pruniers et des bouleaux, à regarder les oiseaux, leurs allées et venues entre les branches. Entre les dehors et les dedans. Là pour rien. Pour le temps qui passe et la tasse de café chaud sur la peau. Lentement le laisser couler entre les lèvres, savourer ce café du milieu de la matinée, sans autre plaisir que celui-là : le moment de l’arrêt dans le cours du jour avec un café. Pas de livre à proximité. Juste l’horizon d’une vie qui continue au-dehors : entre le foisonnement de feuilles, une échappée ovale où voir le lointain. Se satisfaire de l’instant. Bien assise dans la chaise de pacotille mais confortable, où caler dos et bras. Juste à côté, un minuscule fauteuil en bois à l’assise de paille, acheté dans une brocante il y a trois ans. Pour ses petites-filles. Pour l’une, il faut rajouter un coussin car la paille pique, quant à la seconde elle s’y laisse tomber avec volupté. Ce matin le fauteuil est vide. Mais les imaginer, l’une ou l’autre assise là, la vie en elle qui poursuit sa destinée. Espérer.

On la nomme la petite pièce, depuis toujours. Enfin depuis un avant moi. La pièce où se tenait l’arrière-grand-mère avec son carreau de dentellière, le petit guéridon où poser la lampe : une boule remplie d’eau pour concentrer la lumière d’une source lumineuse vers l’ouvrage en travail. Et le cliquetis des fuseaux. Et les pans de dentelle qui se déroulaient. Et les pensées qui ne se disaient pas. Et la tranche de pain de seigle tout frais sorti des fours de la boulangerie, où s’étalait une bonne couche de beurre. La tranche de plaisir du samedi soir. Au milieu des questions de la vie. La pièce des femmes : Tout y était petit : l’espace, la fenêtre, les deux chaises très basses en paille, les modèles en carton de dentelles à réaliser, le guéridon. Rien d’autre dans cette petite pièce. La vie du soir après les travaux du quotidien dans la ferme. Penser alors… peut-être.

Au fond du jardin, une petite cabane blottie dans un coin du verger À l’intérieur une table, simple, recouverte de journaux, de papiers, de vieilles lettres, de manuscrits, de livres, de porte-plumes et de bouteilles d’encre, un fauteuil très bas, à moitié effondré où elle aimait à se tenir avec sur ses genoux une planche en sapin avec un encrier incorporé. Sur la planche, un grand cahier de papier ordinaire recouvert d’un papier de couleur. Là où se terrer comme une ermite. Un lieu d’écriture, de quiétude dans cette mise à l’écart de la vie domestique tant par rigueur, précaution, désir de se replier sur soi, et tenter de mettre à jour le plus la plus intime révélation. Par la fenêtre, la vue s’étendait sur les pelouses, les collines et au loin, sur les falaises des South Downs. Sur sa table de travail, un plateau posé avec une théière emplie et une part de gâteau que sa sœur avait apporté la veille. Elle en triturait des morceaux, les émiettait dans sa tasse, se donnant l’illusion qu’elle mangeait. Mais elle n’aurait su dire quel goût avait ce gâteau. Feindre de se nourrir. Ce qui était important c’était d’écrire, enfoncée dans le fauteuil où nul autre n’aurait pu s’asseoir. À caresser par intermittence le velours de l’accoudoir. Imaginer.

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

Une réponse à “#rectoverso #09 | ici, là-bas et si loin”

  1. ici, là-bas et si loin on s’y promène on s’y assoit on se satisfait de l’instant et on imagine ici, là-bas et si loin. Merci Solange pour ces lieux de quiétude.