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#09 | la robe, le flan, le couloir, Gertrude Stein
Comment ne pas revenir toujours à Gertrude Stein ?
Mais, pour nous, aujourd’hui toucher à la mécanique même de notre cycle : ce «recto verso», conjonction de plusieurs prises d’écriture en un même point.
Avec deux pistes :
— la première, celle exposée dans la vidéo : non pas un recto et un verso, mais une «triade». Pour chaque convocation mentale ou fictionnelle choisie, associer un objet (ou un vêtement, ou les deux), une nourriture (consistance, goût, réminiscence, usage sociologique), et un intérieur, «room» se traduit généralement par «chambre» (souvenez-vous Virginia Wool : A room for one self, qui n’est en aucun cas une bedroom ou chambre à coucher, mais bien une pièce dédiée à l’usage individuel, ce qui est l’historicité même du mot chambre, par rapport à salle par exemple). Donc une triade objet (ou vêtement, ou les deux), nourriture (vous n’y échapperez pas, et un des éléments de l’assemblage (historicité du mot pièce lorsque rapporté à intérieur d’habitation) d’un appartement ou maison, ou château même si vous en avez bénéficié. Et rassembler plusieurs de ces «triades», pour différentes pièces d’un même lieu d’habitation, ou pour différents lieux d’habitations en fonction des villes et époques.
— la deuxième, celle proposée ici en complément : écrire deux et seulement deux de ces «triades» exposées ci-dessus, mais les utiliser comme recto et comme verso, deux triades opposées, ou antagonistes, ou deux faces d’une même réalité mais dont il serait impossible de se saisir simultanément (il faut 3000 pages à Marcel Proust pour que, première partie du Temps retrouvé, hébergé chez Gilberte devenue épouse Saint-Loup, se rejoignent le côté de chez Swann et celui de Guermantes).
Et maintenant, Gertrude Stein. L’étudiante en neurologie de Boston, 28 ans, orpheline avec libre disposition — elle et son frère Léo — émigre en 1904 à Paris, la répression homosexuelle n’y est pas pour rien. Là, ils achètent et revendent des tableaux, mais surtout constituent leur propre collection, les trésors que sont Cézanne et Matisse, pour ne citer que deux noms, auxquels si peu de personnes s’intéressent. Mais c’est la rencontre de Stein (la relation à son frère Léo se distendra rapidement), structurante pour les deux, avec Pablo Picasso, en pleine évolution rapide de ce qui le conduira à lui-même. Dans ces dis premières années parisiennes, Stein ébauche un livre majeur, mais qui attendra des décennies pour une reconnaissance encore à venir, son Making of Americans.
Et c’est dans 1914, fin de cette période (avec la rencontre d’Alice B. Toklas, sa compagne pour le reste de sa vie, le refus de repartir aux USA à cause de la guerre, l’achat d’une puissante voiture qui leur servira de liaison avec les soldats américains du front ou ceux hospitalisés sur la côte d’Azur), qu’elle écrit (mais ne publiera, à compte d’auteur, après plusieurs années) un très singulier triptyque : Tender Buttons.
Les éditions NOUS en proposent une traduction remarquable de Jacques Demarcq, celle dont je me suis servi pour l’extrait à télécharger.
Triptyque : trois parties donc, une intitulée «objets» (presque 15 ans en amont du Parti pris des choses de Francis Ponge, 1928-1935), une initulée «nourriture» (tout simplement food au singulier), et une intitulée «rooms» au pluriel, où il ne s’agit pas de «bedrooms» mais de différentes pièces d’un lieu d’habitation, couloir, salon, salle à manger, cuisine et vestibule aussi bien que salle de bain et chambre à coucher, vous vous doutez de l’inventaire — bien des passerelles avec le chapitre «appartement» du Espèces d’espaces de Georges Perec, avec ses portes et sa page sur les escaliers.
Un livre bref, mais donc totalement en rupture, 1 avec l’idée même du livre et de la poésie, 2, avec les matières convoquées pour l’écriture.
On se risque sur des contenus a priori très loiin des usages poétiques : le manteau, l’écharpe, le flan, le poulet ? La sophistication même de la langue, en construisant son autonomie, va lui permettre de s’établir comme support à ces notations sur la pomme de terre, le parapluie, des boîtes ou un chapeau, la viande de veau ou l’artichaut.
On a plusieurs fois déjà pris appui sur Tender Buttons: soit côté vêtements, soit côté nourriture. Pour la partie «pièces à vivre» (ce que j’aurais choisi pour titre du troisième volet), on est plutôt allé côté Perec. Pour les objets, on s’est servi du journal du verre d’eau de Francis Ponge, dans son livre majeur qu’est Méthodes — mais le mot est déjà chez Gertrude Stein quand elle titre «méthode pour un chapeau».
Alors, avec ce cycle «recto verso» je rouvre le dossier : et si on fabriquait nous-mêmes quelques-uns de ces triptyques objets (ou vêtements), nourriture et pièce à vivre ? Une association des trois, pour tel lieu ou telle époque. Et en chercher plusieurs, mais toujours dans cette triangulation.
L’importance, dans ce qui qualifie l’atelier d’écriture, de revenir toujours et toujours travailler aux outils, aux «méthodes» pour appeler et faire venir à nous des contenus au-delà des mots. C’est l’enjeu.
Et avoir nous toutes et tous en partage, contre le déni encore trop marqué de sa réception, l’immense et si audacieuse Gertrude Stein.
La très riche postface d’Isabelle Alfandary ouvre aussi de belles perspectives.
oui ! je l’ai mentionnée…
Bonjour François,
J’ai commencé très tard en juillet (le 29, pour tout te dire !), mais je reviens peu à peu dans le peloton — même si, on est d’accord, ce n’est pas une course.
L’exercice de Gertrude Stein m’a fait penser à ce site : https://what3words.com, qui attribue à chaque lieu sur Terre une adresse unique composée de trois mots. Une triade, donc.
On peut entrer une adresse et obtenir les trois mots associés, ou faire l’inverse : choisir trois mots et voir où cela nous mène.
G