c’est une friche délimitée par le fleuve, la route, les maisons du quartier. Pour l’atteindre, il faut forcer une grille rouillée puis escalader un monticule de terre. L’accès est interdit et un peu de difficile. On aboutit dans cet espace dont les herbes en été mesurent près de deux mètres. On s’engouffre dans ce rideau d’herbes hautes qui fleurissent jaunes dès le printemps, on ne peut évaluer la surface, le point de fuite se heurte à des tiges
le cœur bat vite après l’effort, il cogne dans les tempes et dans l’œil, il fait pulser l’iris rendant la vision mouvante, l’œil cherche un chemin praticable, le corps disparaît, se heurte aux épines, aux herbes sauvages, aux libellules qui savent où se poser, l’œil sélectionne des fragments, les fragments ne s’accouplent pas
c’est une friche. Les mûriers s’y développent juste aux abords de la rive du fleuve. Une tente est installée sur une petite parcelle dont les herbes ont été arrachées. La tente, comme si elle devait être cachée, est désertée. Elle est ouverte. Indiscret spectateur qui ne peut s’empêcher de regarder dedans. Une histoire est suspendue aux fleurs jaunes et s’envole avec les pétales
les yeux fermés, le bruit des paupières a cessé, on voit nuit
c’est une friche assoiffée par endroit. Les matins d’orage le ciel gris plombe la végétation. On sait que la terre attend d’être gavée de pluie. On pressent la mutation de cette terre en boue glaiseuse. En regardant le ciel, on voit passer un cormoran ou deux, un goéland, son cri, sur fond de nuages gris métallisé
on croit voir l’animal quand on entend son cri, son image est présente et il est invisible, il perçoit ce qu’on ne perçoit pas
c’est une friche. En hiver les herbes ont tapissé le sol. Elles sont couchées, cassées, forment un tapis de foin dur, sec et piquant. Il faut lever les pieds pour avancer, regarder le sol sans savoir où aller, prendre des risques minuscules, marcher au hasard en s’accrochant au voir. Parfois le pied choque une cannette cabossée de bière ou de coca. Des gens passent par là. C’est une friche habitée par des millions d’insectes et quelques réfractaires
le sol bosselé oblige à regarder la terre, à focaliser quelques points pour garder l’équilibre, en été, en hiver, le champ est rétréci
hello Sylvia
(tu n’as pas dû cocher ta case #10, car je ne t’avais pas vue… et j’ai dû te chercher dans la liste des auteurs)
et me voilà donc dans ta friche assoiffée… oui c’est le cas en ce moment pour de vrai, et puis en différentes saisons
beaucoup aimé : « On croit voir l’animal quand on entend son cri, son image est présente et il est invisible, il perçoit ce qu’on ne perçoit pas »
par le truchement du cri, on peut presque voir…
et j’ai beaucoup aimé la brièveté des phrases en italique qui font ponctuation et apportent quelque chose de fort et de supplémentaire à chaque saison…
Merci Francoise, en effet j’ai publié trop vite, et merci pour tes retours, c’est très encourageant!
oui, catégories ajoutées par l’admin du site… mais je passe quand je peux, pour les rattrapages
Merci François, publié trop vite …
Beaucoup aimé ce texte et toute cette nature si bien observée et ressentie ,les sens aux aguets, magnifique! cette friche recèle bien des trésors
Merci Carole pour cette lecture et ce retour!
Ai aimé cette variation à partir d’une friche, et aussi, comme Françoise, la brièveté des phrases en italique.
Merci Betty ! J’ai un petit faible pour les phrases courtes !
« on croit voir l’animal quand on entend son cri » voir ou croire voir, voir avec ou sans les yeux . De beaux chemins ouverts. Merci
Merci Nathalie, oui l’image est d’abord en nous ! Clin d’œil aux photographes qui connaissent bien le sujet!
Moi aussi, beaucoup aimé la précision de la friche et la sobriété de l’œil qui analyse
Merci Louise, je retiens « sobriété « qui ne m’avait pas effleurée..,
Bien aimé cette répétition: c’est une friche, qui met en évidence ce désir de voir plus loin, de voir encore, d’aller chercher encore autre chose.
Merci Solange pour tes passages réguliers et tes retours
Merci pour ce texte. J’aime particulièrement « les yeux fermés, le bruit des paupières a cessé, on voit nuit » et le rythme.
Merci Louise, tout commentaire me fait avancer!
Merci pour ce texte sur la friche, avec tout ce que celle-ci révèle ou pas à l’œil qui la perçoit (on pourrait faire un livre sur les friches..) « l’œil sélectionne des fragments, les fragments ne s’accouplent pas », j’aime cette reconstruction à faire du réel par l’écriture et par l’œil, ce que tu fais phrase après phrase, avec efficacité. Et l’œil sur la tente: une échappée vers autre chose. Merci Sylvia.
Merci Valérie pour cette lecture et l’attention que tu y a portée
J’aime beaucoup ce texte. Les variations fonctionnent magnifiquement bien et le recto-verso aussi à plein avec cette variété de façon de regarder un même lieu à différentes saisons, en haut en bas, en mouvement ou pas (matière à continuation, à recueil, avec photographies, pourquoi pas ?). J’aime aussi beaucoup ton écriture.
Merci Emilie pour cette lecture et cette petite douceur de fin de phrase!