
À Berlin, à la mi-août, le temps change soudain et débute un automne doux, humide, précoce — un apaisement après les grandes chaleurs de juillet. Alors on descend à Wannsee en S-Bahn. Devant la gare, à la dixième minute de chaque heure, part le bus 100. Avec un peu de chance, on pourra prendre l’historique, celui à étage où, installé à l’avant, on prétendra être le chauffeur de ce bus qui traverse la forêt de Grünewald. Le 100 est souvent vide. Au départ, il faut prévenir le conducteur qu’on descendra en plein milieu de la forêt, à l’arrêt Friedhof — cimetière. Au bout de quinze minutes, nous y voici. Les arbres portent encore leur vert de la belle saison mais les pluies des derniers jours ont flétri leur feuillage et une bonne odeur de terre humide nous accueille. Alentour, c’est le silence des bois. Un panneau pyrogravé — Zum Friedhof — nous indique le chemin. On emprunte le sentier boueux. Voici les haies qui entourent le cimetière. Voici l’enclos des défunts. Un lieu de bois plutôt que de pierre, caché au milieu de la forêt de Grünewald. Ceux qui y demeurent dorment sous des croix en chêne couvertes de mousse. Ces croix portent souvent le simple mot Unbekannt — inconnu — et une année : 1945. D’autres portent des noms russes. Les allées sont étroites, bien entretenues. Voici la nôtre.

Le 17 juillet 1988, Christa Päffgen quitte à vélo sa maison d’Ibiza. C’est le début d’après-midi. Elle descend au village acheter des cigarettes. La chaleur est intense. Elle s’effondre sur la route. Un taxi qui passait par là la recueille. Elle est encore consciente. Il l’aide à entrer dans sa voiture et la conduit à l’hôpital le plus proche. On l’allonge sur un brancard. Personne ne s’occupe d’elle. L’infirmière pense à une insolation — un peu d’ombre et de repos suffiront à la remettre d’aplomb. Christa meurt des suites d’une hémorragie cérébrale non diagnostiquée. Son fils — Ari — qui vivait avec elle dans la maison d’Ibiza est prévenu du décès. Il faut enterrer sa mère, mais où et comment ? L’argent manque. Ari prévient les amis de Paris, les amis de Manchester, les amis de Berlin. Quelles funérailles dans quel cimetière ? Et, avant tout, avec quels moyens rapatrier le corps ? À Berlin-Ouest, Lutz Graf-Ulbrich — Lüül — prend les choses en main. Il organise un concert pour payer le rapatriement du corps. Les sous collectés couvrent les frais. Le cercueil de Christa est convoyé d’Ibiza jusqu’à Berlin-Ouest en avion. Christa sera enterrée aux côtés de sa mère, au cimetière niché dans la forêt de Grünewald.
Août 2011. Voici sa tombe de granit sombre. Rares sont les visiteurs mais tous y déposent un petit quelque chose : caillou, bougie, papier plié que la pluie détrempe — le souvenir d’un passage, une pensée pour NICO Christa Päffgen 1938-1988.

Bonjour Xavier, je n’ai pas bien compris en quoi votre texte répondait à la proposition d’écriture de François. J’ai aimé votre histoire et vos photos.
Merci pour ce texte sur Nico.
Merci, Betty ! Je pense souvent à elle.