Le parc est sec, il n’a pas plu depuis plusieurs semaines. L’herbe est rêche au toucher, brunie. De grandes étendues avec quelques arbres qui tentent de tenir leurs promesses d’ombrage mais les feuilles sont fatiguées. Derrière moi un banc vide sous lequel un canard se repose mollement. Alors il doit y avoir un cours d’eau pas loin mais de la place où je suis allongée je ne le vois pas et je ne l’entends pas. Une femme est assise sur un banc surplombant le carré d’herbe. Elle a la peau blanche, presque translucide. Elle se tient droite, comme un pantin, les mains posées sur les cuisses et des lunettes de soleil trop grandes pour son visage délicat. Elle ne bouge pas. Je ne l’ai pas vu venir s’asseoir.Quatre ou cinq enfants jouent à faire les animaux. Ils parlent de l’éléphant et du tigre, peut-être ont-ils été au zoo. Les liens sont incongrus. Ce grand d’une douzaine d’année, avec sa très sérieuse raie sur le côté écoute respectueusement cette petite à la peau noire et aux tresses dressées sur la tête. Deux adultes, presque aussi jeunes qu’eux, les surveillent tout en discutant. Un centre aéré ? Ils restent dans un espace très restreint, contrairement à ce petit garçon avec à peine deux dents qui trottine en riant derrière son ballon qui dévale la pente et après qui sa mère s’agace, courbée en deux pour le rattraper. Une femme est assise sur le banc surplombant le carré d’herbe. Elle a la peau blanche, presque translucide. Elle se tient droite, comme un pantin, les mains posées sur les cuisses et des lunettes de soleil trop grandes pour son visage délicat. Elle ne bouge pas. Je ne l’ai pas vu venir s’asseoir. Le canard n’est plus là. Sur l’allée centrale passent quelques vélos, affables. Les cyclistes ne se pressent pas. Du coin de l’oeil, on devine un peu plus bas de grands murs de pierres entre les arbres. Une église ou une petite tour. Peut-être y a-t-il un café. La mère et son petit garçon sont partis. Un homme passe devant moi, essoufflé. Il va s’asseoir sur le banc. La femme ne bouge pas. Je me lève pour aller voir vers le mur de pierre et passe devant un couple qui déplie une grande nappe pour installer un pique-nique, en plein soleil. Les enfants du centre sont derrières, ils repartent sur la grande allée où la femme se tient toujours dans la même position. Sur le petit chemin qui mène au bâtiment une vieille dame passe avec ses bâtons de marche nordique. Le soleil doucement commence à décliner. Il n’y a pas de café et je me suis éloignée de la sortie. Je remonte la pente, essoufflée moi aussi. J’ai le soleil dans les yeux et de la sueur dans la nuque. En haut du parc surgissent des tours où sèchent du linge sur les balcons. Les arbres y sont plus fouillés, plus verts. Un écureuil saute. Et la femme n’a toujours pas bougé. J’ai l’impression qu’elle me regarde. Où que je sois je la vois et étrangement toujours face à moi alors qu’elle ne bouge pas.
Savez-vous comment filmer une scène d’angoisse ? Il n’y a pas besoin de sang, de cris, de surgissement. Il faut qu’il n’y ait pas de ligne de fuite. On apprend à toujours filmer en tiers, avec la ligne de fuite comme repère. Or si il y a possibilité de fuite du regard, il n’y a plus d’angoisse. L’horizon, c’est l’espoir. Il ne s’agit pas d’enfermer le regard. Il s’agit de positionner quelque chose entre la fuite et l’oeil de la caméra. Quelque chose d’immobile. Quelque chose ou quelqu’un.