#rectoverso #10 | Suzanne Doppelt, l’œil et le parc

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#10 | Suzanne Doppelt, l’œil et le parc

Dixième proposition, nouvelle étape et renversement : par «recto verso» on a tenté, tout ce cycle d’appliquer au même point d’un auteur ou d’un livre une approche antagonique, ou croisée. Et cela pourrait valoir à l’échelle d’un livre, ou dans la phase qui commence pour ce dernier tiers de notre boucle annuelle, l’organisation en texte continu, embryon éventuel de projet plus ample, des textes de chacun·e ?

Il n’y a qu’à piocher dans la bibliothèque pour en trouver. À commencer par Le pèse-nerfs d’Antonin Artaud, avec en «belle page» le texte bref d’une notation concernant le mental dans l’instant de la dépossession, en page amont un texte développant plus au long l’expérience.

Le livre récent de Suzanne Doppelt (voir sa page auteur sur le site POL, et les nombreux entretiens ou lectures qui sont associés aux livres) se construit tout au long sur une opposition de ce type : une strate narrative, textes continus, incluant le «hors champ» qui est la marque formelle de Suzanne Doppelt (début par une simple minuscule, ensuite phrases avec . et maj, puis fin ouverte sans point et au mieux une virgule) et, en opposition, des blocs paragraphes plus courts (jamais plus d’un tiers de page), en italiques (pas obligé pour nous, mais de toute façon un décalage typo), les deux strates venant, jamais plus d’une page pour la strate narrative, en rigoureuse alternance et vis-à-vis.

Dans ce livre, Et tout soudain ni rien, comme c’est la règle dans tous les livres précédents de Suzanne Doppelt, une troisième strate vient fluidifier cette alternance : des éléments graphiques incluant des fragments du travail photographique de Doppelt, mais jamais ces photographies sans cette recomposition par éléments géométriques qui en sont comme grille d’insertion dans l’espace typographique des textes.

Maintenant, le thème, et on va se glisser dans ce qu’elle nous propose (dans la vidéo, je mentionne deux autres textes de même qualité d’expérimentation, Vak spectra, ou «précis d’architecture inversée», et La plus grande aberration, fascinant travail sur géométrie, transparence, image et énigme, avec résonances jusqu’à Proust notamment.

Ici, la convocation d’un film «culte» de l’histoire du cinéma, Blow up d’Antonioni, photographie prise dans un parc urbain et qui se révèle témoignage d’un crime inaperçu par le photographe lui-même, film lui-même adapté d’une nouvelle de Julio Cortázar. Suzanne Doppelt déplie avec précision cette mécanique : le geste du photographe dans le parc londonien installe dans la strate narrative un récit palimpseste, une mise en abîme de l’écriture même via le récit de l’image prise par le photographe de Blow up.

Mais elle s’écarte radicalement du parc londonien : ce qui devient matière narrative, c’est l’ensemble pour chacun de ces «paysages urbains» (titre de Walter Benjamin, voir aussi le chapitre «Central Park» de son essai sur Baudelaire). Fragments de nature construits à main d’homme, jusqu’aux composantes voulues d’apparence contraire (les parties volontairement sauvages, les berges, les enclos sans contrôle de végétation), qui seraient une constante urbaine. Voir, pour les amoureux de Berlin, le Berlin plus grand que Berlin de Hanns Zisschler sur cette colline devenue forêt surmontant les entassements de ruine post 1945). Dans quelles villes n’avons-nous pas fait halte dans un bout de square, ou marché au long d’un canal ou d’une rive? Matière suffisamment collective pour qu’on l’explore, qu’elle soit nommée ou pas (chez Suzanne Doppelt, parfois nommée, parfois pas). Ou simple banc devant horizon dans tel hameau rural de nos souvenirs.

Et les passages en italique, en lien direct aussi avec le film d’Antonioni : comment l’oeil (en général dans ce livre, au singulier) voit, comment ce voir voit mieux que nous ? Et chacun des blocs de cette alternance devient un segment ou une fraction de l’expérience de voir, du fonctionnement même de voir. À quelle distance. En mouvement ou fixe. Couleurs ou gris. Récurrences, attentes, saisies au vol. Et la mémoire, et l’intention. On guette, où on cherche la rémanence de ce qui s’est inscrit dans la périphérie rétinienne. Voir exemples dans le doc joint, extraits dans l’ordre même où ils sont dans le livre, strates narratives, italiques sur l’oeil.

Et en quoi cette alternance, si nous la pratiquons pour cette dixième proposition, peut nous indiquer le possible d’un texte complet ?

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4 commentaires à propos de “#rectoverso #10 | Suzanne Doppelt, l’œil et le parc”

  1. je crois que je suis complètement perdue ( l’ebauche d’un commencement:Pas sûr) Merci pour la découverte

    • se perdre dans les sentiers du tracé que formerait la ligne joignant les parcs sur le plan d’une ville inconnue… et voilà, une narration 😉

      • pour le «recto» tu avais de longtemps le mode d’emploi, via «la piétonne», mais cette réflexion depuis «l’oeil» peut devenir belle piste, aussi la question de l’imbrication des images déjà constituées, et indissolubles dans notre perception de l’immédiat réel…

      • Oui et non, car cette proposition est très riche et peut amener beaucoup plus loin dans l’exploration de la représentation. En tout cas très très envie de lire Suzanne Doppelt, merci de nous signaler son œuvre.