#rectoverso #10 | we’ll always have Paris

Depuis cet endroit là de l’étang, elle voit à peu près tout. Des lieux, je veux dire. Des humains, il n’y a pas grand-chose à voir depuis qu’on a ramassé le cadavre et que les journalistes sont partis. Assise sur le banc face à Sète, elle regarde le ciel se maquiller de rouges et d’oranges. Elle sent plus qu’elle ne voit, dans les ombres des pins, des silhouettes de curieux venus là pour impressionner leur curieuse qui se glisse aussi à regarder. C’était là? Tu es sûr? Oui, c’était là. Entre les deux pins. Elle n’entend pas plus qu’elle ne voit. Elle invente tout, sauf le ciel qui absorbe ses pensées et lui apporte des bribes d’enfance.

elle voit comme si elle avait les yeux fermés ou comme si la cellule était close, la nuit, elle voit sans regarder ce qu’elle entend bruisser, elle voit ce qui s’appelle voir

En marchant sur le port, la nuit, elle a l’impression de marcher dans un film noir. Les quais sont déserts. Les entrées maritimes ont apporté une brume humide. Elle ne serait pas surprise de voir passer un homme en imperméable et chapeau qui lui demanderait du feu en anglais et à qui elle répondrait en lui tendant son briquet « we’ll always have Paris ». Il la regarderait, surpris, et ils riraient. Mais là, dans la brume, elle ne voit rien ou à peine, peut-être cette tâche brune en face, mais non, trop immobile. Impossible de savoir ce que c’est. Là, à cinq mètres, ce sont bien des rats. Elle les regarde sans peur. Ils la voient, s’arrêtent, traversent la rue et sautent sous les grilles qui protègent les palmiers.

elle ne voit pas seulement avec les yeux, les images sont filtrées par tous les films qu’elle a vus et leurs paroles, elle aurait aimé qu’il réponde « embrasse-moi » à « we’ll always have Paris », on n’entend bien qu’avec les yeux

8 commentaires à propos de “#rectoverso #10 | we’ll always have Paris”

      • Au delà des images, les films sont aussi des pourvoyeurs d’écriture ! Je me souviens avoir suivi un cours en fac de lettres sur le cinéma, et nous avions analysé en détail Quai des brumes, du découpage du scénario au montage final, et j’avais reçu ça comme une magistrale leçon d’écriture, qui allait bien au delà du simple scénario. Casablanca et Quai des brumes, deux films dont je ne me lasse pas…

  1. J’aime beaucoup ce décalage légèrement noir entre imaginaire cinématographique de l’homme en imperméable et réel des rats. C’est tellement vrai!
    La question que je me pose: est-ce que pour ceux qui n’ont pas la référence ça marche? (oui, d’ailleurs il le faut!), faut-il des notes de bas de page pour que tous aient accès à la matrice, ou bien non?

    • C’est une très bonne question Valérie.
      Je ne sais pas, il faudrait demander à celles et ceux qui n’ont pas les références. Mais j’ai l’impression que oui, un homme en imperméable, un chapeau, la brume, le songe…, la superposition des images de films. Pas besoin, je pense de connaître LE film. C’est un clin d’oeil et si non ne voit pas le clin d’oeil, reste le visage 😉