#rectoverso #11 | toutes sortes de dons

Choses qui ne s’accordent pas

Le mot Corbera prononcé sans qu’on sache s’il désigne un lieu, une époque ou une perte
Une fenêtre donnant sur une cour muette qu’on appelle pourtant la vue.

Un regard trop intense sur une photographie floue
Des photos de mariage où l’homme qu’on cherche est toujours au même endroit — mais qu’on ne reconnaît pas
Des murs repeints en blanc — comme si l’oubli devait être éclatant
Le bruit d’un train dans la nuit dans une ville qui dort

Choses tumultueuses
Les draps qu’on secoue dans une chambre que l’on partage

L’attente entre le moment où l’on clique sur ouvrir la pièce jointe et celui où elle s’affiche

Un souvenir qui revient sans prévenir
L’instant où le passé cesse d’être abstrait et vous coupe le souffle

Un trait de caractère que l’on déteste en soi, parce qu’on sait exactement de qui il vient

Une pièce vide, disponible, où je retourne la nuit
.
Des choses regrettables comme
Une trahison
Détruire

Les histoires qu’on n’a pas écoutées

Les rêves brisés

La peur



l’obsession des visages 

ce que la mer emporte

des promesses dans le vent

les hésitations

la cuisine au gaz et le gruyère fondu

un monde minuscule

son nom inscrit quelque part (mais il n’a pas d’histoire je dois la lui prêter)

les archives les rencontres les témoignages

disparu

des hypothèses

des souvenirs volés

mes tantes, mon oncle ma mère enfants

des silences dans les phrases

un départ intérieur

Pauline, après la guerre

le quotidien

les rituels

l’accident

une croix de Lorraine sur le tibia

toutes sortes de dons
les mariages

les départs

les névroses

les particules

le vide

des larmes

la troisième génération

les chambres

les vibrations

les vacances

des réminiscences sensorielles

la cuisine et les frappes

la cuisine et l’épluchage des pommes de terre

la cuisine et les jus de viande cuite

la cuisine et le moulin à café

la table 

couper la peau des mandarines

le manque

des lettres

des photos

la mort de Pauline

un retour mental ou réel

fermer la porte

la résistance à l’oubli

les souvenirs

retour à la photo

rien ne s’achève


A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

12 commentaires à propos de “#rectoverso #11 | toutes sortes de dons”

  1. J’apprécie tout particulièrement « 
son nom inscrit quelque part (mais il n’a pas d’histoire je dois la lui prêter) » et me questionne sur  » couper la peau des mandarines « , trouve beau  » ce que la mer emporte « .
    Merci de ces trois phrases (et des autres).

  2. Il y a des récits, des personnages qui sont là, quelque part même absents. C’est comme une tentative de ne pas les laisser t’échapper…
    C’est comme ça que je ressens ton texte; Merci !

    • Merci Sylvia, c’est exacteement ça, comme une tentative, parfois je me demande si ça en vaut la peine, mais parfois j’ai presque la sensation qu’ils sont là, c’est comme une récompense.

  3. Force de tes images … la vue malgré … l’oubli éclatant … la place de l’homme sur la photo . Et ce nom Corbera dont on ne sait pas si …mais au commencement des mots; avec l’obsession des visages et pourquoi pas une écharpe blanche .tout est là. Merci