#rectoverso # 12 | à petits pas

Il est très étrange de parcourir le passé, non en tournant les pages d’un album photos, mais en auscultant  les listes de livres achetés ou empruntés, lus ou toujours en attente de lecture. Tout cela bien écrit dans ces carnets de lectures et d’achats que je tiens depuis mon adolescence. Cela pourrait faire l’objet d’un travail d’écriture sur l’évolution de ses lectures, noter celles qui ont compté et importent toujours, et comprendre l’évolution de ce que l’on est devenu au travers de ce cheminement. Et lorsque l’on se concentre sur un auteur plus particulièrement, en l’occurrence une autrice, on réalise, au fil des ans qu’il y a un certain temps que l’on semble hantée par elle.

Je m’arrête donc sur apparemment le premier livre de Virginia Woolf que je me suis procuré, il s’agit du Journal d’un écrivain dans la collection de poche 10×18, à la date du 31 octobre 2000, au prix de 61 f., traduit de l’anglais par Germaine Beaumont, avec une préface de Léonard Woolf. Sur la couverture, un portrait de profil de Virginia. Il me semble me souvenir en avoir fait la lecture assez rapidement. C’est la notion de Journal qui à ce moment-là m’intéressait. Et Virginia Woolf parmi d’autres. C’est en mai 2003 qu’un quadruple achat est noté, à quelques jours d’intervalle, tous en collection de poche:

Mrs Dalloway: 4,60 euros ( le 2 mai)
La promenade au phare : 4,57 euros ( le 9 mai)
Les vagues: 6,10 euros
Une chambre à soi: 6 euros
Le 29  septembre de cette même année, Instants de vie les rejoint.

J’essaie de comprendre ce qu’il y a eu en 2003 pour que je me sois focalisée sur Virginia Woolf. Tout remonte en mémoire : c’est le film Les Heures, inspiré du livre de Michael Cunningham, sorti en France en mars 2003, et qui m’avait bouleversée. En avril 2003, j’ai acheté et lu le livre dont s’était inspiré le film, juste avant d’ouvrir ceux de Virginia. Comme s’il fallait que l’on me guide pour avancer sur des terres inconnues. L’achat de livres ne signifie pas pour autant lecture immédiate et certains resteront paisiblement dans l’attente du bon moment Ou, comme Les Vagues, sera ouvert, puis refermé à plusieurs reprises. On n’est pas prêt. Il faut parfois subir des chocs successifs pour se donner l’autorisation d’aller un peu plus loin. Le choc suivant, durant l’été 2022, se fera avec la lecture de Nevermore de Cécile Wajsbrot qui crée un nouveau passage vers l’écriture de Virginia Woolf. Une fois le livre lu et relu dans la foulée, je me dirige près des rayons de ma bibliothèque où La promenade au phare patiente. Je m’immerge et comprends que je viens d’être hameçonnée par une écriture, dont je ne pourrais plus me défaire. J’ai la sensation qu’elle circule dans une tête, la mienne peut-être, qu’elle circule entre les pierres d’un chaos dispersées, et que le chemin se trace. Quelque chose lâche prise en soi, comme si les mots que Virginia utilise l’étaient pour la première fois. To the light house est le titre en anglais. Il n’y a pas la notion de promenade, comme en français. Mais la lumière qui aimante. Et la notion de temps, à la fois la durée et le climat. Et ce corridor de dix années entre les deux parties du livre. Tout me fascine: les courants d’air – des esprits de l’air –, les échos des voix, les phrases qui se répètent, l’importance de la nature… C’est pendant cet été-là que je décide d’axer les ateliers d’écriture que j’anime autour de Virginia Woolf et de m’immerger dans ses livres. Ils se font chair.

Pour être exhaustive, il faut évoquer aussi le troisième choc qui a agi, sous forme de tremblements, car cela a duré une dizaine d’années, de la traduction des Vagues par Christine Jeanney, proposée sur son site avec toutes les questions de traduction qui pouvaient la tarauder et qu’elle évoque avec simplicité sur son Journal de bord. Cette aventure traversée et partagée continue d’alimenter le travail que je tente de mener autour de mes divagations autour de Virginia.

J’écris à petits pas, par mots d’échos à quelques phrases des Vagues qui, de par leur élan, ou leur fragilité font vibrer en moi quelques fibres sensibles. Je progresse dans une forme d’obscurité, sans savoir où cela me conduit. Quelques mots de l’une déclenchent d’autres mots chez l’autre. Des échos .Elle me donne à penser, à écrire, à parcourir des rivages nouveaux, à regarder autour de moi sous d’autres angles d’observation. Écrire à perte de temps et d’espace, à perte de soi peut-être. Des images se superposent, s’emmêlent. Des phrases se creusent. Quelques textes s’écrivent puis patientent dans les arcanes de fichiers d’ordinateur, s’égarent, se diluent, espèrent… Et cela obsède, modifie le regard posé sur les entours, s’insinue dans tout ce qui s’écrit, malgré soi. Le fantôme de ce qui pourrait peut-être s’écrire flotte dans les marges des jours. Un jeu d’ombres avec lesquelles évoluer. Quelque chose plane dans les recoins de l’esprit. Une musique un peu obsessionnelle. Une forme se précise. Des motifs se détachent. Une esquisse se profile. Éclaircir ce qui hante encore. Vaincre l’inertie. Errer aux confins de ce qui patiente sous le voile.

Mais peut-être cela arrive-t-il trop tard dans le cours de ma vie…

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.