RECTO
Elle déménage un peu à la hâte, les cartons empilés en vrac dans la pièce. On peut dire que c’est à la hâte parce que la photo laisse apparaître des incohérences en second plan. Sur une des fenêtres le rideau a été enlevé mais il reste la tringle, sur l’autre fenêtre rideau et tringle ont été enlevés. Des livres débordent de deux ou trois cartons, avec des bouts de couverture. Ce moment où l’on mélange un peu tout, du moment que ça rentre. Un peu comme la vie. Il fait nuit, elle est en pyjama. La fenêtre est grande ouverte, c’est l’été. Au sol, le tapis est roulé mais les poufs sont toujours présents. Sur la table basse, entre des objets peu distincts, deux verres de vin dont un seul est entamé. Allongée dans une position sûrement peu confortable, avec son tee-shirt trop grand, un tee-shirt d’homme avec des tâches de peinture dessus, elle renverse la tête en arrière et fixe l’appareil.
VERSO
Peut-être qu’elle ne déménage pas. Peut-être qu’elle emménage.
Peut-être aussi qu’elle ne déménage pas car ce n’est pas chez elle. Peut-être qu’elle est chez celui qui s’en va.
Mais il est possible que ce soit elle qui parte car le peu que l’on devine de l’appartement semble féminin. Du velours, des bougeoirs un peu kitch, un gros rideau rouge.
Ce qui est étrange c’est qu’elle a une photo d’elle chez elle. Une photo d’elle et non pas de lui.
Car si il y a deux verres de vin, il y a bien un lui.
Si il y a un tee-shirt trop grand également, il y a bien un lui.
Peut-être lui a-t-il envoyé cette photo parce qu’il ne voulait pas la garder.
Peut-être chez lui a-t-il une photo de lui qu’elle a prise ce soir-là, elle.
Peut-être emménagent-ils ensemble.
Sûrement plutôt se quittent-ils. Elle a le regard fixe sur la photo. Fixe et non joyeux.
Peut-être partait-elle sans lui.
Peut-être n’a-t-il jamais été là.