#rectoverso #14 | Vide-poches


Etapes :
Etape 1 : froissement de l’âme
Etape 2 : tournoiement des possibles
Etape 3 : masque de la décision
Etape 4 : trace de la matrice

Figures marquantes :

la forêt
« Que fait cette forêt si claire qu’elle semble ne pas toucher terre, qu’elle semble avoir été posée sur un nuage. Une image en partance, un bout de monde arraché au destin séculaire ».
le cheveu
« Enchevêtrées et plus haut encore dans le ciel, les fines branches comme de bruns cheveux emmêlés ».


Courants esthétiques/idéologiques :

L’élément Fenêtre : loupe saisissant ce qui lui échappe.
Le Piquet : debout toujours dans la vie. Il est debout-debout.
Le Lapin blanc : scripteur qui note précisément sa journée.
Le Perché : barré complet. Une bulle effervescente dans l’atmosphère.
L’Epopée : figure à reconstruire à tout instant. Les empreintes vitales sont dissoutes.

Evénements marquants :

il n’a que des souvenirs heureux/l’immeuble est détruit, seul reste en suspens le couloir/ deux jeunes filles au teint pâle, l’une possède un compas/les pieds s’étirent.

Oeuvres de l’auteure :
Nos épines sont mosaïques, 1810. Quand je me lève, je tartine, 1822. Il ne neige pas ce n’est donc pas la saison des cadeaux, 1889

Epicentres géographiques :

Troxler-ville (Il y a assurément un autre monde mais il est dans celui-ci). Walser-ville (Pour quelle raison ? Hum!).




Extrait de l’ouvrage « Quand je me lève, je tartine »

Qu’as-tu fait ?
Je suis retourné dans la rue des souvenirs heureux. J’ai eu envie de déambuler dans la douce et sereine rue d’avant la catastrophe. Il y avait là de beaux immeubles en pierre de taille d’un seul côté de la rue. Sur le trottoir d’en face, des arbres sveltes et fringants, joufflus sur leur hauteur nous regardaient avec mansuétude. L’appartement de mon amie était simple et très accueillant.
Justement, l’accueil était l’une des tâches qui incombait à la gardienne. Sans coup férir, elle assurait quotidiennement la distribution d’une tartine de pain beurré à chaque résident. Hors un jour, un événement inconnu à ma connaissance, n’a pas permis aux tartines d’arriver à bon port. Ce chamboulement des habitudes, regrettable oh combien, a entraîné un tsunami d’enfer. Un déluge d’eau s’est abattu dans la rue et n’a plus voulu décamper. La belle pierre s’est fissurée et en un rien de temps, les immeubles se sont affaissés comme marionnettes déboussolées. Curieusement, n’est resté visible et en état -si j’ose dire- qu’un couloir que je vous décris.
L’ entrée de l’appartement et sur la droite le couloir. Une moquette gris clair et des murs tapissés bleu, des portes peintes en blanc. Sur tout le mur de gauche en entrant, derrière deux portes coulissantes, une vaste penderie aperçue à travers un rideau de coton crocheté ajouré bleu et noir pour les manteaux et autres habits de sortie. Devant soi une porte donnant dans une première chambre, juste à droite de celle-ci et au-dessus du radiateur, le portrait peint de la maîtresse de maison -couleurs dominantes rouge/blanc/noir- puis une porte fermée à deux battants et derrière elle, un salon-salle de cours. En continuant une commode renflée dont les tiroirs contiennent du papier cadeaux, des rubans des ficelles, des pages arrachées de magazines. Une autre porte pour une deuxième chambre. En tournant face à soi une autre porte, celle de la cuisine et encore en tournant la porte des toilettes avec lave-mains, essuie-mains et quelques tableaux. Dans le prolongement une large fenêtre aux rideaux crochetés ajourés blancs donnant sur une cour. Un petit fauteuil d’enfant en osier est installé devant l’ouverture. Puis un lourd buffet contenant balles multicolores de diverses tailles, bâtons en bois, épais rubans de couleur sable et autres accessoires de travail. Sur le meuble imposant, du courrier, une lampe, un plat en cuivre où sont posées des clefs. Plus loin sur le sol un porte-parapluie en faïence et retour sur la porte d’entrée.
Aujourd’hui, si un imprudent ouvrait quelques portes pour entrer dans l’une des pièces, il basculerait assurément dans le vide et s’ écraserait au sol. En suspens entre deux arbres amis, et sans attache, le couloir se balance doucettement. Miroir d’une mémoire tout autant que vestige d’un chaos magnifique. Cela s’est passé il y a plus de huit ans et la douleur maintenant est tout à fait molle. Oh elle est molle la douleur. Elle nous glisse entre les doigts.

Notes

Une première mouture de l’ouvrage apparaît dans le carnet 05 sous le titre « Etat des lieux ». Dans le journal de l’auteure n°11, la rubrique « Entaille » en fait également mention.



A propos de Louise T.

Des fragments de vies dans divers lieux Afrique du Nord/France/Côte d'ivoire/ France. Villes et campagnes. Ecriture et Lecture. Aimerais être en lien plus étroit avec moi.

6 commentaires à propos de “#rectoverso #14 | Vide-poches”

  1. D’emblée le titre est attachant…. Ce vide poche fable de souvenirs, c’est quelque chose !!! Ce couloir, ce couloir et avant ces tartines (d’arriver à bon port)… C’est absurde, et c’est fantastique… Merci Louise pour cette liberté…

  2. La « coincée-mutique » a vidé ses poches, super ! J’aurais bien lu ce titre de coincée-mutique ou autre-quelque-chose-mutique à côté des murmurantes ou des inventorières. Le vide-poche fait office de déversoir, peut encore se remplir, déborder, coloniser tiroir. Une image en partance : l’idée serait de multiplier ces images pour donner lieu à plein de chemins d’écriture.

    • Merci Cécile. Oui, bonne idée ces images en partance. L’envol me paraît difficile mais peut-être, pour quelques unes au moins…

  3. En partage la forêt et la fenêtre . L’enchaînement des événements marquants ouvre l’imaginaire (ce n’est pas seulement doux). » Nos épines sont mosaïques « J’aime ce titre .et ce couloir qui se balance . et les chaos magnifiques … Ce qui est bien c’est qu’il existe plusieurs poches dans une armoire et qu’une fois délestées de leurs souvenirs
    les poches se remplissent à nouveau Merci d’avoir sauté par-dessus les froissement d’âme pour nous donner ces mots .

    • Merci Nathalie pour ta lecture vigoureuse. Et merci d’avoir senti que tout cela n’est pas doux. Il faudrait que j’affine encore le texte du couloir, que je gomme tout ce qui est superflu. Merci