Il se tient sur le seuil de la porte. Chacun d’un côté de la porte. Elle se tient sur le seuil de la porte également. Derrière elle, le grand couloir vide où se hérissent les clous sans tableaux, comme des échardes. C’est étrange, il est près, très près et il a l’air loin. Il vacille légèrement sous son regard, et ce ne sont pas les larmes. Ses contours sont estompés. Quelque chose de lui a déjà reculé, comme si le souvenir prenait les devants. Comme si il appartenait déjà à la mémoire alors que sa chair, chaude, tient le chambranle de la porte, ses longs doigts encore dans le présent. Avec elle. Il lui dit quelque chose. Sa bouche s’ouvre, se ferme – le son reste de son côté. Il a la boîte à outil dans l’autre main, et derrière elle les meubles démontés gisant sur le sol de l’appartement. Il faudra fermer la porte. Fermer la porte une dernière fois. Comment quelqu’un peut être là, avec son corps, et puis ne plus être ? Elle se penche dans l’entrebâillement et ils s’embrassent. Ce n’est pas le nouvel an, il n’y a pas de houx qui les bénit. Le geste se fait à l’envers. Les lèvres bougent mais ne répondent pas. Quelque chose se fige dans l’encadrement, hors d’eux. Elle ferme la porte alors qu’il descend les marches. Elle tourne la clef. Une fois. Deux fois. Trois fois. Une clef qui ne cesse jamais de tourner, de verrouiller. A l’envers. Il avait mal monté la serrure. Elle ne lui ouvrira plus jamais. Elle retourne dans le salon où l’attend les verres de vin vides et son ombre quelque part reste collée à la porte. Une silhouette – la sienne peut-être, à lui – suinte de l’autre côté de la porte. L’un & l’autre derrière la porte. La porte s’éloigne, lentement aspirée dans une autre heure et elle n’entend que le silence assourdissant.
la porte monte au ciel
la porte descend aux enfers
il est des meubles qui hurlent
et des foyers qui se taisent
la poussière blanchit les caprices
des promesses non tenues coulent sur le judas
comment revenir pour ceux qui restent ?
corps cousu par les larmes
fût avant
sera après
Puis vint le silence. Dans l’immeuble plus un bruit. Elle est devant chez elle, les bras chargés de sacs de courses. Devant la porte, elle fouille ses poches et glisse la clé principale dans la serrure. La porte ne s’ouvre pas. Elle essaie, tourne la clé encore une fois, puis une autre. La serrure grince, résiste, mais ne cède pas. Exaspérée, elle revient à la première clé et tourne en appuyant sur la porte. La porte ne s’ouvre toujours pas. Il n’y a personne dans l’immeuble. La lumière se coupe. Elle se dirige vers le bout du couloir et crois voir une silhouette monter l’escalier. Personne. Elle retourne à la porte et, agitée, tente encore une fois de tourner la clé. Elle frappe doucement la porte, pour se rassurer. Une fois. Deux fois. Puis de plus en plus fort. Le silence du couloir lui pèse. Elle a l’impression qu’il y a quelqu’un derrière elle. Elle frappe encore, et se surprend à faire ce geste. Elle est en train de frapper chez elle, de frapper pour entrer chez elle, comme si quelqu’un de l’autre côté de la porte devait venir lui ouvrir. Et cette personne ne veut pas. Elle sent un souffle derrière elle et dans un cri elle tourne la clé dans l’autre sens. La clé glisse, tourne, mais la porte reste close. En bas la porte de l’immeuble claque. La porte s’ouvre. Un frisson remonte dans son poignet. Quelque chose a changé. Ce n’était plus chez elle. Ce n’était plus ici, ce n’était plus maintenant.
Terrifiant ! Le poème nourrit les questions … Merci Léa