#rectoverso #04 | Ah, Madame, le temps qu’il fait

« Il s’agit de gagner du temps ». Je tire au hasard dans le cinquième casier un petit cahier rouge OPERA daté du 01/12/2023 au 08/04/2024. Je lis sur la deuxième de couverture je cours juste avant la nuit et j’écris je cours juste avant la nuit. J’attends l’instant précis où le soleil se pose sur l’horizon. Tout devient or, tout est suivi d’une ombre de dix-huit mètres. Puis le soleil roule de l’autre côté, va se coucher sous terre. Mais pendant quelques minutes, le ciel continue de jouer sa présence. Le ciel est encore bleu doré rosé, les oiseaux sont encore là les grillons aussi les vers luisants ne vont pas tarder d’allumer leur lampe. Le monde est quasiment pareil sauf qu’on sent qu’un truc cloche. Tout est juste à sa place mais tout sonne faux. Tu mettrais ta main à couper que le soleil est là, quelque part, je le trouve pas, attends, mais non, il est mort le soleil. Le soleil il m’écrase. Je baisse les yeux en courant sauf que je ne cours pas plus rien n’a d’ombre. Moi non plus. Et sans ombre, plus rien n’a de corps. Sans ombre, comment je sais que j’existe ? Existé-je seulement ? Je cours mais moi je ne cours pas entre la vie et la conscience de la vie. Pendant quelques instants, éclairé par le ciel mais sans le soleil, je n’existe pas vraiment et ça fait du bien. Je marche. Plus rien sur les épaules. Plus de soleil qui passe sa tête au-dessus de ton épaule – Panayotis Parcot. pluie verglaçante. les montagnes ont éteint la lumière. les livres sortent de dessous la table. « On trouve des choses en flânant dans les livres, dans sa mémoire ou les yeux au sol, au ciel, rêvant. Regarde. Trouve le hiéroglyphe accidentel, le beau signe, quelque chose, un transport, un moment » Une épiphanie, oui c’est ça une épiphanie du genre le temps qu’il fait, la lumière du ciel derrière la fenêtre, « saisir l’instant, le rendre mémorable » écrit Colum McCann. L’obscurité tombe sur le bouquet de roses blanches fiché en plein champ sur la table de la pièce se reflétant dans la vitre. « On tourne les yeux vers la fenêtre comme vers sa propre pensée : il neige » Il pleut. Si j’avais écrit le matin j’aurais pu écrire Aujourd’hui pans de ciel bleu soleil sous la moustache des nuages au sol trempé. L’après-midi il pleuvait. les montagnes on les devine encore. vitesse limitée à 90 km/h le paysage chinois s’efface de la toile. Dans Veiller sur elle, les Alpes se séparent tout juste de l’horizon. Ici les Alpes sont inexistantes derrière un cocon en nuage. un trait jaune orangé barre l’horizon au sud. dans les maisons on allume les guirlandes de Noël. le ciel allume la lune. l’abat-jour des montagnes s’éclaire de rose vingt-cinq minutes avant le coucher officiel du soleil. puis se couvre de gris s’éteint

un ciel étal et terne

   une montagne égale

      les nuages bavent Serait-ce un haïku ?

4 B Brouillasse Bruine Brume Brouillard il fait humide, humide et nuit. les montagnes ont disparu. elles ont été enlevées puis déposées dans l’atelier pour rénovation. seul un sommet flottant émerge de temps à autre Ecrire, essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose, arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes avec Perec . Aujourd’hui ciel bleu à Paris /pluie à Toulouse il pleut des cordes /il fait grand soleil dans le sud /je confirme qu’il fait très beau dans le sud /soleil couchant de Normandie / gris pluvieux et triste à Clermont-Ferrand / ciel gris dans la plaine iséroise /de quoi alimenter une rubrique météo ou quoi ? un sentiment de matin jaune. un sentiment de fin d’après-midi jaune. de début de soirée jaune. les herbes sèches suintent. le crépi des façades jaunit. le ciel se reflète jaune sur le sol mouillé de la terrasse « J’ai relu mes notes » Ne serait-ce pas une affaire de carré de fenêtre avec notations atmosphériques météorologiques poético-environnementales ? Dis, ça fait un livre ça ? Je lis dans La Mémoire d’Abraham et je relève le carré de nuit bleu sombre /le carré de la fenêtre se teintait de violet face à l’ouest pare-brise en feu. six lignes de quartz raient le ciel comme pierre puis ligne de sang au-dessus des monts d’Ardèche. les montagnes hautes et altières ont retrouvé formes et couleurs. les oiseaux ont déserté. ils ont fui la taille des arbres. plus de branches. ils reviendront avec les feuilles. A la fenêtre elle attendait 17h30 pour sa réunion hebdomadaire avec le moineau. Juste attendre 17h30 et de grandes poussières. Comme Marlène Tissot. Elle ne savait pas encore que le moineau ne viendrait pas – Arthur Teboul le soleil se couche à 17 :44. à Paris il se couche à 17 :47. le TGV arrivant à 17 :46 je bénéficie d’une minute de soleil en plus. Notations éparses comme averses Madame : temps gris /nappes de nuages en suspension /nuages étagés /vielles couvertures en laine effilochée /les chemins sont détrempés /des flaques dans le coin des parcelles /ciel rose à l’approche des lumières de la ville / systématiquement ma tête tombe à droite revient se relève tombe à droite revient se relève tombe à droite etc. B. n’a jamais vu les montagnes. Il est fils petit-fils arrière-petit-fils de paysans de la mer. Il est poissonnier le ciel est toujours plus grand que le recouvrement du ciel par les nuages par les bandes nuageuses par les superpositions des accumulations des nappes boursouflées de nuages ronds arrondis tournés retournés sont des taches blanches dans le ciel sont de grandes voiles il suffit de lever les yeux il suffit de baisser les yeux vers le ciel il y a là des nuages qui flottent pour voir un nuage il suffit de regarder  un nuage vient sous les yeux – Tarkos. la pluie va probablement continuer de tomber. Et ces notations périphériques du jour ? le ciel bleu profond était balayé de voiles jaunes /par la fenêtre ciel bleu layette /la nuit bleutée piquée de lampadaires roses /les perles orange et argentées des rares fenêtres encore illuminées /A un moment donné j’ai regardé sur la gauche et j’ai vu, au dernier étage mansardé d’un immeuble, une fenêtre aveuglée par un store vert qui s’inscrivait dans le plan gris du toit en zinc et au-dessus du toit une bande de ciel bleu avec un nuage blanc Christian Gailly et du tumulte montait une poussière dorée vers le ciel bleu violet de Salonique – Marek Halter. Elle ne sait pas par quel bout commencer la fleuriste de Jacques Prévert, moi non plus, par la fenêtre, je vois l’avion. Un insecte métallique qui dévore une partie infime du ciel – Velibor Colic Guerre et paix Les gouttes de pluie ne tombent pas mais descendent lentement du ciel et meurent en flaques. Par endroits, le ciel jusqu’alors uniformément gris s’ouvrait et laissait filtrer du bleu – Marek Halter Et les 400 fenêtres de Jacques Roubaud ? Ecrire serait ta forme de contemplation. Ce que la contemplation doit donner, c’est la lumière qui se suffit à elle-même et l’écriture, au mieux, n’apporte que des éclaircies – Henri Bauchau Contempler : regarder sans rien attendre. Ecrit en rouge dans la marge du cahier OPERA QUOI EN FAIRE ? Beaucoup d’occurrences sur le ciel, non ? le ciel est devenu gris foncé, il va y avoir un orage, de larges gouttes commencent à tomber. Par la fenêtre on voit des toits en zinc sur lesquels tombe la pluie /le bleu gelé du ciel /toujours des flaques dans lesquelles aujourd’hui se reflètent des fragments de ciel clair /Elle regarde le ciel

Tu regardes le ciel

Elle regarde le ciel, le soleil a été avalé par les nuages et de grosses gouttes commencent à tomber. De nouveau je lis Panayotis Parcot et j’écris la nuit on s’éclaire soi-même, c’est pas pareil, on décide qu’on existe dans La prochaine fois que tu mordras la poussière. un ciel de farine. un ciel si enfariné qu’un torchon a du mal à essuyer le bleu autour. un ciel pisseux qu’une pluie finira bien par laver il note il notait tous les jours le temps qu’il fait dans son agenda – comme le père de Lika Nüssli je note parfois dans mon cahier rouge OPERA Ciel et soleil poussiéreux

Nota bene : sauf mention contraire, les citations entre guillemets sont de Marianne Alphant

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

15 commentaires à propos de “#rectoverso #04 | Ah, Madame, le temps qu’il fait”

  1. Un soleil sans ombre, une meteo versatile ou le soleil n a pas RV avec la lune, de quoi choisir de plonger la tête à gauche, dans ses livres.

    Merci pour le retour nourri du recto-verso 3 !

  2. Ecrire, essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose, arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes avec Perec.
    Merci pour votre texte palpitant et tellement poétique. Bravo.

  3. j’ai aimé me promener dans tes mots et par tous les temps, que de couleurs, que de fraicheur et de chaleur entremêlées. Bien venues en cette soirée, chaude, ici, où je te lis.

    • Tant mieux si mon texte t’a apporté un peu de fraîcheur, Eve. Merci de l’avoir ouvert.

  4. une réunion avec un moineau, une ombre sans corps ou l’inverse et des couleurs pleins de couleurs qui respirent. tout doux ton texte cocon

  5. L’impression d’être emporté par un vent, comme un brin de paille, dans un bulletin météo du monde. Si belle expérience. Merci.

    • Expérience rendue possible par la proposition. Ça fait un moment que je voulais ‘y coller. Il reste plusieurs autres cahiers… Merci pour la lecture nocturne 😉

  6. belle balade dans le carnet rouge Opéra qui révèle le besoin de ciel et de soleil et de pluie… et que de notations réunies par tes soins, on glisse à travers la pluie, on la désire, on marche dans son ombre et on reprend au commencement
    merci Cécile

    • Merci Françoise. On se lève le matin et oui on regarde le ciel. On le lit aussi dans les livres et tout s’entremêle.

  7. Oui, regarder le sol, les toits, les murs, le ciel, « trouver le hiéroglyphe accidentel », la paréidolie, la petite plante qui pousse obstinément dans les fissures et qui s’accroche, qui fait signe, qui nous fait signe…

  8. Ode au carnet, ode au ciels, ça donne envie d’ouvrir un carnet et de noter, de recopier des bouts de texte et puis ensuite comme tu le fais, de tisser et de contempler ce qui advient comme un paysage. Ici (en Vendée) les nuages sont de retour après quatre jours ininterrompus de ciel bleu à perte de vue ! A bientôt Cécile !

    • contempler ce qui advient de l’écriture sans écriture 😉 (contemplation permise par la proposition même) et merci pour l’envie que ça pourrait engendrer chez d’autres