#rectoverso #07 | ce qui tombe à la fin

RECTO

Le fait que je me sois décidé bien trop tard comme à chaque fois, le fait que j’ai conduit trop vite du coup, le fait que je me gare à chaque fois à la même place, le fait que je me dit en fait ça va mais ça ne va pas tant que ça, le fait que pour rejoindre la galerie climatisée il faut suivre les lignes rouges au sol, le fait que dans l’escalator je ne croise que des gens qui s’en vont, le fait que les caisses se vident et qu’il allait falloir que je me bouge un peu, le fait que j’ai une  petite liste sur laquelle il n’y a rien, le fait que je sais comme à chaque fois que dans les rayons j’en rajouterais des tonnes, le fait que je ne sais pas si je penses vraiment à tout ça en même temps, le fait qu’en haut de l’escalator je la reconnais avant même qu’elle m’aborde et qu’elle m’aborde et me reconnait en même temps, le fait que son petit corps est comme avant aussi sec et cassant, le fait qu’elle a les cheveux courts comme un enfant qui serait un petit garçon, le fait que je me demande qu’elle âge elle peut avoir maintenant le fait qu’elle a une croute sur sa lèvre, le fait que comme à chaque fois elle me reconnait et que moi je me demande comment c’est possible qu’elle me reconnaisse, le fait qu’elle invente toujours des histoires de train à prendre, le fait que je sais qu’elle voudrait juste de la tune pour son dernier voyage par terre dans le caniveau, le fait qu’elle ira loin sans jamais aller nulle part, le fait que je la revoie il y a dix ans qui crie dans le foyer en même temps que je vais lui acheter une bouteille d’eau, le fait que le supermarché va fermer et que je n’ai pas encore pu faire mes courses, le fait que le vieux devant prend son temps, le fait que je vois sa tête qui m’attends dehors, le fait que je lui dis toujours cette foutu phrase en lui donnant un peu d’argent, le fait que ça n’a aucune sens de lui dire de prendre soin d’elle, le fait que ceux qui devaient le faire ne l’ont pas fait, le fait que de penser à ça me donne envie de l’effacer, le fait que si j’étais partie plus tôt je ne l’aurais pas croisé, le fait que parfois on peut vouloir que quelqu’un n’ai jamais existé, le fait qu’elle porte le même nom qu’une terre désolé où plus rien ne peut vivre, le fait que les noms parfois, le fait que les filles s’en tirent quand même toujours moins bien merde, le fait que je me dis ça en achetant du papier wc, le fait que je sais qu’en sortant je ne la verrais pas mais que je conduirais encore trop vite

VERSO

Le fait qu’il a décidé de commencer quelque chose de perdu d’avance, le fait qu’il ai prit un bateau pour aller là où tout avait commencé bien avant lui, le fait qu’il ait vu toutes les nuances du vert de l’herbe qui n’existent pas ici et les marées aussi, le fait que il n’ait pas trop réfléchis, le fait qu’il avait comme des ambitions on pourrait dire, le fait qu’il a ramené certains des siens avec lui après que tout ait été terminé car oui le fait qu’il y ait eu la fin du monde entre temps, ca compte, le fait qu’après il a continué à avancer dans l’herbe plus vraiment verte mais avec des couleurs de monde d’après, brun brulé ou jaune cramoisi, mais toujours comme avant je veux dire en mettant un pied devant l’autre, le fait que ca ne servait à rien à ce moment là de réfléchir à sa lignée, à ceux qui avant lui et à ce qu’ils avaient fait, le fait qu’il n’a pas non plus pensé à ceux d’après, le fait que d’avoir cherché le soutien des clans éparpillés comme des grains dans la bruyère a conduit à la mort de tous, le fait qu’après la fin du monde il n’y avait plus de cheval et alors il fallait continuer à pied, le fait qu’un type était toujours collé à ses basques et que parfois il ne savait plus si il l’aimait ou si il aurait voulu le noyer, le fait que de marcher des heures et des heures et des heures avec le même type peut vous donner envie de le voir se noyer même si avant vous l’aimiez bien, le fait qu’à force de marcher il n’avait plus besoin de chaussures parce que ses pieds avaient fait comme un rocher, le fait que la pluie finit par devenir comme une autre peau  et qu’on finit par ne plus remarquer la désagréable persistance des loques mouillés sur soi, le fait qu’à force de ne pas dormir on peut devenir fou, le fait qu’il l’était déjà un peu avant peut être, le fait qu’il faut être un peu fou pour continuer après que tout se soit écroulé, le fait qu’il faut être aussi taré pour suivre un mec comme lui, le fait que la folie ça n’avait pas commencé avec lui, le fait que c’était déjà là depuis longtemps, aussi longtemps que l’arrière arrière arrière arrière grand-mère qui avait perdu la tête mais pour du vrai, le fait que celui qui lui avait tranché la tête avait bien galéré et que dès lors, tout ceux qui sont venus après n’ont jamais été très bien cortiqués, le fait que c’était une histoire parmi tant d’autres avant qu’il soit né, le fait qu’il n’y pensait pas souvent dans le bateau qui filait trop vite sur l’eau, le ramenant chez lui qui ne l’était déjà plus trop

A propos de Line

De métier éducatrice auprès d'adolescents en difficulté. Animatrice d'atelier d'écriture depuis 2020 (DU Université AIx-Marseille) . Porosité entre ces deux espaces là qui se mélangent quelque fois, parfois plus que je ne le crois.

2 commentaires à propos de “#rectoverso #07 | ce qui tombe à la fin”

  1. c’est très fort Line, les deux textes sont apocalyptiques dans leur propre univers, « que parfois on peut vouloir que quelqu’un n’ait jamais existé », alors que tu parles de listes de courses et de supermarché, on sent que ça peut aller très très loin… PQ/fin du monde:)