Recto
Des hommes se parlent sans qu’on puisse les entendre dans un intérieur qu’il faudrait qualifier de sombre, sans lumière et sans confort, avec certainement un meuble entre eux, quelque chose qui tiendrait lieu d’un bureau, d’un officie, sans que l’on puisse trouver réellement le mot qui conviendrait. Des hommes se parlent donc mais combien sont-ils, réunis alors qu’ils sont d’habitude éparpillés, bourrasques solitaires qui ne cessent de venir et d’aller dans ce pays où le vent peut rendre fou. Des hommes sont rassemblés et se parlent dans une pénombre nécessaire à préparer des plans qui rendront les choses à venir irréversibles, mais irréversible du bon côté, du leur. Peut-être qu’il y a entre eux sur la table des cartes et d’autres instruments, qu’il y a dans leurs bouches des traces de matière brune et de salive qu’ils doivent retenir entre leurs dents et l’intérieur de la joue quand ils parlent pour ne pas cracher, et dans leurs têtes des coins de lits défaits du corps de femmes nues recouverts, ou des enfants qui jouent dans des cours boueuses, ces enfants qui sont les leurs ou bien ce sont eux les enfants, dans un temps très antérieur à la fin du monde
Verso
Peut-être que ça commence par la couleur de l’herbe qui n’était pas comme elle aurait dû être, ou alors c’est ce que je me suis dit parce que je compare avec l’herbe ailleurs, là où j’ai déjà été avant.
Peut-être que c’est un truc de filtre téléphone en fait, qui donne cette couleur à l’herbe, une couleur qui en fait n’existe pas ni ici ni ailleurs, une couleur n’existant que dans un univers de pixel et de données dématérialisée, une couleur de monde pour vivre dans un téléphone
Peut-être que je pense à la couleur de l’herbe seulement au moment où j’écris en atelier un petit timbre-poste de paysage
Peut-être en fait que ça commence avant l’herbe et le texte
Peut être que ça commence par le nom du sentier, prononcé avec l’accent de là-bas par le chauffeur de bus
Peut-être que ça commence avec mes premiers pas sur ce sentier, sur cette terre spongieuse de bruyère ou comment se perdre dans des milliers de petits sillons de terre qui coupent à travers les falaises
Peut-être que ça commence avec ce titre que je traduis dans ma langue La chasse d’été, et que ça c’est un sacré foutu titre pour un roman
Peut être que ça commence quand je décide de m’intéresser aux cartes, aux îles et à toutes les possibilités de chemins pour les relier entre elles
Peut-être que ça commence à la lecture d’une biographie sur une fiche Wikipédia
Peut-être que ça commence avec un voyage interrompu qu’il faut réinventer
hey Line ! Le verso et le brin d’herbe comme le début d’un carnet de voyage imaginaire (puisque toujours tu sembles y revenir à cette idée de voyage à (ré)inventer)
C’est très joli, j’aime ce recto un peu brut et le verso poétique qui vient le contrebalancer