Recto.
La tension. C’est toujours tendu. Ca s’exprime surtout dans des silences. Le silence est tendu. Cet instant, ce tout petit instant, où la bouche s’ouvre, la gorge s’ouvre et sort un son qui n’est ni un soupir ni un mot mais une esquisse de silence qui veut trop dire.
Voilà ce son en amont de soi, au bord de soi, qui traverse mes textes. C’est toujours tendu, tiré, clivé entre deux rives
le réel brûlant
et son ombre poussiéreuse
et le Styx entre chaque rive
et le texte qui erre sur ses barques de mots trop fragiles
qui chavire parfois
et me surprend – est-ça que je pense ? ou est-ce que ça me pense ?
La tension existe en dehors de moi et trop en moi – derrière mon crâne, au dessus de ma tête, dans ma nuque
dans mes hanches
mais comment écrire les hanches ?
c’est monstrueux, c’est sous le lit, c’est dans la Nuit, c’est dans la Lune, c’est derrière les miroirs
dans une langue qui n’existe pas
elle est là la tension
comment sortir ce son dans une langue qui n’existe pas
comment soupirer dans une langue qui n’existe pas
il me fait peur le texte. Il m’effraie. Il va me jeter l’oeil le texte. Si je le sors il ne fera plus partie de moi, il rampera, il nagera, il glissera dans des creux que je ne maîtrise pas et il m’échappera
Il est derrière moi et au devant de moi
il est collant, gluant, visqueux
il se glisse dans ma sueur
il est matière et il me souffle, paralysant mon regard
j’attends.
Verso
Voix 1 Pourquoi donc ne nous as-tu pas encore écrit ?
Voix 2 Je suis une femme qui sait que le creux du ventre n’est autre que le creux de l’arbre
Voix 3 Et qu’il faut voiler ce creux
Choeur Un voile, un voile vert et blanc, cadeau d’amant
Voix 1 Ma tante est tellement belle j’ai le droit de tenir le voile
Voix 2 Je crois que je suis jalouse
Voix 3 Il n’y a pas de rideaux les voisins regardent
Choeur Appelle la dame blanche
Voix 1 Mets le voile sur tes hanches pour danser
Voix 2 La fille allongée, le voile teinté de rouge, les hommes crient de joie
Voix 3 Les bougies brûlent, le voile brûle, le mariage brûlera
Choeur Et dans le voile n’oublie pas de coudre tes vieux bijoux
Voix 1, 2, 3 Et de le déchirer à la frontière passée.