Quand on remonte du sud en hiver, la traversée du Massif central n’est pas toujours sans souci. Nous remontions de Sète Philomène et moi par l’A75 lorsque la neige se mit à tomber. J’aime la neige quand elle se jette à gros flocons au-devant de mon pare-brise, j’aime cet enveloppement très doux et presque fantastique où l’on perd tous ses repères, où il n’y a plus rien à suivre que la trace de la voiture qui précède sur la route qui blanchit. Ce jour -là particulièrement j’aimais le contraste de la plage ensoleillée que nous venions de quitter à Rabat et de la campagne qui blanchissait. Il faisait encore jour, il fallait s’arrêter sinon nous risquions de dormir dans la voiture derrière une congère en pleine nuit. Les saleuses et les déneigeuses devaient tout juste se préparer à démarrer. Philomène était déjà frigorifiée et d’assez mauvaise humeur. Je crois qu’elle avait peur. L’A75 n’est pas une vraie autoroute (on ne paye pas), mais elle dispose d’aires de services pourvues d’hôtel Kyiad ou du même genre. Je n’avais pas envie de terminer notre voyage dans un hôtel sans charme. J’imaginais déjà des moquettes douteuses et des éclairages blafards, une cabine de douche en kit. Pour le coup, ç’aurait été gâcher les souvenirs de notre trois étoiles marocain flambant neuf, spa, piscine et brunch sur la terrasse devant la mer.
Sortie 34 Saint-Chély-d’Apcher le nom m’a plu et peut-être même qu’il m’a évoqué un souvenir de lecture. Perrec ? Toussaint ? J’ai demandé à Philomène de consulter Booking et de me guider vers un hôtel pas trop éloigné. Nous avions quité l’autoroute et j’ai tout de suite regretté ma décision. La neige tombait de plus en plus dru et la nuit tombait. La route me semblait extraordinairement étroite et les phares qui arrivaient en face m’éblouissaient. Trop de blanc partout, sur la route, sur les bas-côtés, dans mon champ de vision. Nous avions aussi quitté le plateau et les lignes droites pour une route plus pentue et qui tournait à l’improviste.
Heureusement, cela n’a pas duré trop longtemps et dans les lumières débutantes de Saint-Chély-d’Apcher (la nuit tombe tôt à l’est) l’hôtel est apparu, blanc lui aussi, important, massif, une grosse bâtisse des années 50. Le parking très accessible était vide. L’entrée était surmontée d’une marquise blanche, un peu courte pour paraître luxueuse. La grosse bâtisse avait été augmentée au fil du temps de diverses verrues, vérandas, ajouts vitrés et balconnets abrités qui donnaient un aspect brouillon à l’ensemble. Le code d’accès devait nous être communiqué par téléphone ainsi que le numéro de la chambre. N’y avait-il donc personne à l’accueil ? Dans un deux étoiles ? Quand le code arriva par SMS, nous n’étions pas loin d’aller chercher ailleurs. Il n’y avait effectivement personne et l’affaire devenait étrange, presque angoissante. Philomène me dit qu’il fallait s’imaginer transportés dans un film. Elle s’amusait, pas moi. Notre chambre était à l’étage. Moquette, couloir, boitier pour taper son code, minuterie qui fournissait la lumière à notre passage puis s’éteignait.
A442 la porte s’ouvre sur quatre petits lits simples alignés comme dans un dortoir. Leurs draps blancs forment un rabat très propre sur leurs couvertures bleues. L’impression d’arriver dans une histoire pour enfants. Nous sommes chez petit ours me dit Philomène. Incroyable ! J’imaginais plutôt une étape sur le chemin de compostelle avec des acceuils de groupe. La salle de bain était très classique, voire désuète, avec son mobilier vert d’eau et son bidet massif. Il suffisait de rapprocher deux lits pour nous installer. Il faisait chaud et cela nous suffisait pour l’instant. Il y avait du réseau et nous étions à l’abri. Il n’était que 18 h, mais la nuit était noire dehors. La couche de neige épaississait à vue d’œil et sous les lumières de la bourgade c’était assez féérique. Très ambiance de Noël dont on approchait comme nous le disait le sapin décoré de l’entrée.
Philomène avait lu que l’hôtel disposait d’une piscine couverte et puis il faudrait manger. Tout cela nous décida à partir en exploration dans le bâtiment qui semblait absolument vide de personnel et de clients. La piscine existait bien, moderne, attirante ; vue de l’intérieur l’aspect verrue de verre disparaissait. Malheureusement fermée pour l’hiver. C’est là pourtant que se fit la rencontre des premiers êtres humains qui patrouillaient en binôme : le gardien de nuit et son adjointe technique qui prenaient leur service à 18 h pour aider les clients qui auraient des soucis techniques : télévision en panne, douche froide, fuite d’eau… etc. Ils étaient jeunes, presque aussi perdus que nous. Cependant ils nous indiquèrent un café où nous pourrions manger un sandwich ou un burger et boire une bière. Il y avait aussi un distributeur de gâteaux et confiseries à notre disposition dans l’hôtel. Eux nous serviraient le petit déjeuner.
J’étais mal en point, fatigué, désorienté. Philomène prit les choses en main : on ferait une dinette avec ce qui nous restait du voyage et on l’arroserait d’une ou deux bouteilles du mini bar tout en nous exerçant à décrire minutieusement notre chambre d’hôtel. Couleur et motifs du papier peint, description des appliques, exploration des tables de nuit, énumération des produits fournis (mini -bar, papier toilette, savonnette, shampoing). Tu m’as bien dit que c’est un auteur qui nous a conduit à Saint-Chély-d’Apcher ?
Cela ne m’amusait pas. J’ai préféré faire un tout sur booking pour voir les commentaires des clients que Philomène n’avait surement pas exploré. La note n’était pas mauvaise 3/5, mais les commentaires désastreux, mentionnant même des dysfonctionnements dont nous n’avions pas souffert. Surtout l’hôtel était classé dans la catégorie appart’hôtel expliquant l’absence de personnel et la gestion par code, ce que n’avait surement pas vu Philomène. Elle avait l’air tellement sereine que je ne dis rien, pas même de mes inquiétudes pour le départ du lendemain si la neige continuait à tomber. Les vacances au Maroc dans un hôtel trois étoiles n’étaient sans doute pas ce qui lui convenait. Notre aventure à Saint-Chély-d’Apcher lui laisserait de vrais souvenirs, peut-être même un début de roman, et c’était bien ainsi.
On a trinqué, au Whisky pour elle, au Gin pour moi, dans des verres à dents en plastique translucide en mangeant les pâtisseries marocaines rapportées en cadeaux pour la famille.
(Saint-Chély-d’Apcher et le contraste entre des vacances au soleil dont on venait de m’envoyer des photos et le temps qu’il doit faire dans l’Aubrac en décembre. Un petit tour sur booking pour voir des hôtels, des chambres, des salles de bain et des commentaires et sur google maaps pour me repérer. L’hôtel n’est pas du tout à Saint-Chély d’Apcher)