Plusieurs jour que je ne l’avais pas vu, et à nouveau il surgit. Quatorze ans que je l’observe. Il y a quelques années, on pouvait encore entrer en brèves conversations. C’est devenu plus difficile. Ce qui ne change pas, c’est sa langue, langue inventée de toutes les invectives. Ce qui ne change pas c’est sa solitude apparente : il ne regarde rien, que l’intérieur. Ce qui ne change pas ce sont ses trajets : sur les 2 kilomètres au long de la Loire, entre le pont et là où j’habite, avec l’hôpital où probablement on le douche et l’équipe de ses vêtements (jamais les mêmes, de jour à jour), puis le pont, et les trois cents mètres des deux rues perpendiculaires, celle qui va jusqu’aux Halles, celle qui va jusqu’à la fac. Sur le pont, il s’agrippe à un feu rouge, reste longtemps immobile. Parfois laissant accroché au pylône de fer un tissu ou un sac plastique. Au rond-point, ou dans les deux rues, se plaçant au milieu pour la circulation qu’il règle indéfiniment. Quand je suis passé au retour, il avait encore le bras dans la même position, doigt levé vers le ciel, figé en lui-même.