
dédié aux Michelin et autres mis sur la touche : les écrivains acceptant de ne plus publier reçoivent une pension de l’État
Le moratoire dont j’avais autrefois rendu compte avec précision, qui consistait à ne pas publier d’ouvrages nouveaux pendant deux ans, le temps d’assainir la situation de l’édition et faire le point quant à ses usages nouveaux, avait donc été une intention louable, mais qui s’était effondrée d’elle-même, aucun des acteurs sollicités n’en ayant respecté la règle.
On avait cependant obtenu de l’État, en compensation, quelques avantages : qu’est-ce que cela leur coûtait, au regard des budgets reconduits pour la masse des théâtres, centres dramatiques, cirques et opéras, centres chorégraphiques etc. ? La littérature, tout le monde s’en moquait bien. Moi-même, combien j’avais d’amis de mon âge, qui n’avaient pas choisi les chemins artistiques, et qui désormais n’avaient plus d’activité professionnelle ? Ceux qui avaient partagé avec moi l’école d’ingénieur, licenciés ou au placard. Ceux qui enseignaient, déjà le terme de la carrière. Pour la plupart, les formes administratives différaient : reconversion (tout en sachant qu’elle ne convertissait à rien d’autre qu’au temps définitivement libre), pré-retraite, mise en disponibilité avec un petit pactole, en attendant de percevoir la retraite officielle : il paraît qu’aux entreprises cela coûtait moins cher.
Ils faisaient quoi, tous ceux-là, sinon s’étonner que de mon côté il était difficile de ralentir le rythme des obligations, et de moins en moins facile de surmonter l’angoisse régulière à cette précarité grandissante, reconstituer de bric et de broc les revenus qui vous permettraient plus ou moins bien de tenir ? C’est vrai qu’avec les cinquante-cinq ans c’était plus difficile de mobiliser l’énergie : oh, on ne sent pas moins fort, ni moins endurci, plutôt qu’on a du mal à s’imposer les tâches artificielles – voyez, j’écris ce texte, au lieu de répondre à mes obligations alimentaires ou contractuelles.
J’avais donc souscrit à cette proposition, validée par les différentes organisations professionnelles : le livre en cours d’impression paraîtrait, mais depuis mes cinquante-cinq ans en mai dernier, l’engagement pris de ne plus publier. Fini les livres. Qui y perdait ? J’avais reçu quelques messages sardoniques, les avais effacés d’ailleurs de mon site Internet. On avait été une cinquantaine à en bénéficier. On recevrait donc une pension, plutôt mince, mais qui avait le mérite de la régularité. On s’engageait à laisser le terrain libre aux jeunes auteurs. Après tout, qu’eux-mêmes ne souhaitent pas s’embarrasser de ce que ceux de ma génération s’étaient usés à continuer, stages, articles et autres commandes, cela ne me regardait pas. Oui, une époque finissait bien.
Voilà donc les ennuis qui commencent : en quoi cela me gênait de ne plus publier de livre, si mes sites Internet accueillaient bien mieux, et de façon bien plus efficace, ce qu’il me semblait important d’expérimenter – ce texte par exemple ? Et que ce ne soit pas du tout lucratif, quand le livre l’était si peu, quelle importance.
Mais voilà : pour ceux qui ont établi ce système, c’est encore trop. En renonçant à la publication de livres pour recevoir cette modeste pension de reconversion, j’aurais dû renoncer soi-disant à toute écriture visible, en particulier celle-ci, tenue sur mon site personnel. On surveillait même d’éventuels surgissements d’hétéronymes, m’avait-on prévenu.
Alors, que faire ? Si modestes soient mes besoins, j’aurais du mal à me passer de cette prime de pré-retraite. Mais je compte bien ne pas cesser ici d’écrire, sur ce site, ces fictions.
On met en cause mon droit à la pré-retraite. Il en est quoi, pour les autres ?
1ère mise en ligne et dernière modification le 18 juin 2009
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