visa d’entrée

j’avais décidé d’accepter l’épreuve proposée


Ce n’était pas si facile, d’obtenir son visa d’entrée.

On devait en arrivant montrer un billet de retour, valide. Sinon, demander un permis de résident, ou un permis de travail. Dans le premier cas, à vous d’établir que vous disposiez des ressources nécessaires, et que votre séjour était fondé, par quelles raisons. Dans le second cas, c’était à votre employeur d’établir qu’il n’existait pas, sur place, de personne susceptible d’effectuer ce travail.

On vous donnait bien sûr toutes les indications, les services où s’adresser – mais les directives variaient selon les provinces – pour ouvrir un dossier personnalisé. Alors vous communiquiez ce numéro de dossier obtenu préalablement au service des visas (on vous précisait aussi qu’il était « communiqué par voie électronique à la totalité des points d’entrée » au nouveau monde), et on vous donnait réponse dans un délai de trois semaines maximum.

Bien sûr, on pouvait peut-être imaginer se contenter du visa touristique avec billets de retour : mais pas grand-chose de possible sur place en termes administratifs, même pas mettre vos enfants à l’école, quant à vous-même bénéficier d’un travail, exclu.

On n’aurait pas cru ça si difficile, pourtant : ils se vantaient du cosmopolitisme de telle de leurs grandes villes, et après tout est-ce que ce n’était pas le pays entier qui s’était bâti de ces apports ? Mais la vieille terre se rigidifiait partout. Bien loin, l’idée d’un eldorado de vie facile, pourvu qu’on accepte d’ici la rudesse et l’espace, qu’on se fasse à leur silence concernant eux-mêmes, et la façon dont silencieusement ils accomplissaient, partout où ils étaient, leurs tâches et travail.

On vous expliquait surtout qu’il y avait une part assez considérable d’exceptions.

C’est cela, qui parfois était difficile à comprendre : qu’on vous refuse l’accès ordinaire, parce qu’on vous considérait comme une exception. « La liste de nos exceptions est trop grande, cela complique au lieu de simplifier », avait avoué l’employé.

Ainsi, selon que vous veniez en qualité d’inspecteur d’incidents ou d’accidents, que vous étiez ecclésiastique ou témoin d’un fait non ordinaire, que vous pouviez attester être là pour études, ou artiste en tournée, ou.... Alors le mieux, vous expliquait-on, était de prétendre à conquérir de vous-même votre droit d’entrée. Le bâtiment était une ancienne usine, directement entre l’aéroport et la ville. Si les conclusions étaient négatives, on vous ramènerait aux avions sans même vous l’avoir fait traverser, la ville. Ceux d’ici connaissaient bien ce vieux bâtiment, facilement visible : une ancienne usine, avec encore la vieille cheminée de brique rouge. Un bâtiment plat au milieu, pour l’administration, les guichets et les papiers : tout cela solidement protégé, portique de détection, consigne pour les cartables et appareils électroniques, puis premier guichet de tri avant qu’on puisse disposer d’une consultation éventuelle à l’étage.

Ils étaient accueillants, avaient leur franc-parler, mais c’était de derrière leurs guichets transparents, à verre blindé.

Tout autour, les chambres ne proposaient pas le confort de chambres d’hôtel. Vous aviez trois semaines, peu importe le confort : l’enjeu, c’était sortir, mais côté ville, votre visa dûment rempli avec votre passeport dans le cartable repris.

De la structure en U, on n’aurait pu entrer ni sortir, que par ce premier couloir avec le portique et les guichets. Au fond, une passerelle donnait accès aux couloirs des chambres. Les vitres restaient closes, une cantine vous offrait gracieusement une nourriture banale mais suffisante, et vous aviez du temps pour établir votre dossier.

C’était une sorte de défi : démontrez et convainquez, établissez l’intérêt pour vous et pour nous (c’était la formule officielle, lorsqu’on sollicitait son admission), de votre présence ici sur ce sol, dans nos villes. Le refus serait définitif, mais après acceptation on vous laissait en paix.

J’avais décidé de tenter cette voie. J’avais trois semaines pour y réussir.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 23 juin 2009
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