Piero Cohen-Hadria | de mes deux grands-pères

vases communicants : on accueille un des "Carnets" de Pendant le week-end


Invitation faite à un de mes amis web, échange régulier depuis des années et pourtant on s’est croisés seulement 2 fois dans la vie réelle, encore dans ce cas il est un peu comme moi : on ne sait pas forcément quoi se dire.

Donc échange avec Pierre Cohen-Hadria, que je retrouve aussi sur le terrain professionnel via son compagnonnage avec Melico ou ses études de sociologie de la culture.

Pendant le week-end abrite les carnets de plusieurs blogueurs et blogueuses, dont celui d’Hélène Clemente. C’est donc dans les carnets de Pierre Cohen-Hadria qu’on trouvera Stratégie pour simple renversement du monde, texte écrit à partir de l’habitude prise par un personnage bien plus mystérieux, ayant longtemps signé Piero de Belleville dans mon Petit Journal, et qui depuis plusieurs mois y installe sans même de signature des photographies prises à sa vie quotidienne.

On peut bien sûr retrouver l’ensemble des blogs échangistes au rendez-vous des vases, merci Brigitte Célérier.

 

Pierre Cohen-Hadria | De mes deux grands-pères


De mes deux grands pères, l’un était vendeur de fil de fer et l’autre avocat. Je ne sais pas s’il y eut jamais dans la famille de tailleur, mais ce serait tout de même un peu le genre. Usuriers, banquiers, courtiers, scribes, tailleurs, coiffeurs, la liste est longue de ces emplois attachés à cet univers. Je me souviens de Claude Berry et de la boutique sur la rue du faubourg Poissonnière, fourrures et peaux. Je me souviens en marchant.

 

Il reste aux murs des traces du vingtième siècle. On aime à savoir qu’il est le vingtième, on aime les chiffres. Ceux sur les avant bras aussi.

 

Je regarde aux frontons des immeubles, en haut, puis vue du sol.

 

Pour se raser, employer ce petit outil, visser. Je me souviens. Il y a peu on m’appelait l’arpenteur, je me souviens de sa chaîne, je me souviens de ce qui le fait marcher. Le cinéma.

 

C’est aujourd’hui une épicerie à bas prix, comme on aime à dire. Fréquentée par des clients à bas revenus. Lutte des classes, pas morte. Collée sur la vitre de ce meuble urbain voué à disparaître, la cabine téléphonique, l’affiche rouge.

 

Marcher dans les rues, se souvenir des torsions de son âme, je ne sais plus s’il était capitaine, je crois, « Réfléchissez bien, disait-il au deuxième pompe transmetteur, Royalieu transit vers l’est, Desnos à Montparnasse aujourd’hui après Theresienstadt, réfléchissez bien, vingt quatre heures, vous n’en aurez pas d’autres dans les onze mois qui viennent… », sur la route d’une région que je ne connais pas

 

la Jaguar bleue, intérieur cuir crème, remorquée, les deux enfants, Delphine et Laurent (voilà, oui, ce sont leurs prénoms, leurs vrais prénoms) et leur mère, Danièle (oui, Danièle, ou alors y avait-il deux l), un accident, stupide comme ils le sont tous, le capitaine « embrasser votre oncle, mais pourquoi faire ? Vous croyez que ça l’aiderait ? Réfléchissez et revenez me voir », un soir, de petits bâtiments de plain pied, la cour d’honneur et les couleurs qu’on hisse tous les matins vers six heures (à ceux qui se lèvent tôt, le monde), probablement bien avant, la rue qui tourne, les faillites, l’appartement qui domine le Léman, puis la colonne Vendôme, les rideaux fermés, l’embrasser oui, lui, allongé là, je me souviens de ses lunettes de soleil, des verres de cognac au restaurant du bois de Boulogne, une Rolls Royce, vert foncé, une Jaguar bleu nuit, les traces qui restent aux murs comme celles qui restent à la mémoire, marcher dans les rues, regarder et voir, au sol quelques couleurs

 

Toutes photographies © Pierre Cohen-Hadria.

responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 1er juillet 2011
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